vendredi 2 janvier 2009

Guillaume chez les Soviets, tome 4

Priviet k vsiem vam!

Eh, Boje moi! , ça fait une mèche que je ne donnais plus de nouvelles! Mais, n'ayez crainte, je ne vous ai pas oubliés. Seulement, Gospodi! , le mois dernier était tellement chargé en événements de tous genres et de tous poils que j'en ai un peu perdu mes bonnes habitudes de régularité: j'ai oublié la lessive et le linge sale s'est accumulé de façon à former une pente d'alpinisme au milieu de la chambre, j'ai oublié d'aller faire des courses et j'ai dû souper d'une tomate à quelques occasions, j'ai oublié une banane dans le bordel de mon bureau et elle s'est tellement émancipée avec le temps que j'ai dû courir avec un filet à papillon pour la rattraper, et je n'ai pas écrit. Pour me faire pardonner, j'ai donc conçu cette édition spéciale de Guillaume chez les Soviets, la saga nordique qui combat tous les préjugés par la seule force des mes jugements fins et objectifs, qui est exceptionnellement accompagnée d'un cadeau surprise à la fin. Oh, pas le droit de tricher et de regarder tout de suite, petits coquins. Il faut finir son assiette pour mériter le dessert.

Mais,tchiort vozmi!, quels étaient donc tous ces événements si trépidants qui ont monopolisés ta vie, me demanderez-vous. Eh bien, comme vous me connaissez, plus transparent qu'une porte de patio astiquée avec furie et Windex, je ne vous fais pas de secret et vous explique.

Rubrique 10: Un ti-peu de nouvelles
D'abord, dans la liste des événements qui m'ont aspirés comme un aspirateur une chaussette oubliée sous le lit (je ne sais pas ce que j'ai avec les métaphores aujourd'hui, ça doit être suite à la lecture de Pouchkine), il y a eu la fin de la session et ses deux inévitables corollaires, les examens et l'hécatombe des étudiants étrangers. Dans le premier cas, il n'y avait rien là de comparable à ce que j'ai pu vivre au Québec en terme de stress, d'angoisse ou même de volume d'étude. En fait, il n'y avait même pas d'examen à la fin de la session, parce qu'il n'y a tout simplement pas de session. Le seul examen que j'ai passé était un examen privé, payant, non lié a mes cours, une sorte de reconnaissance professionnelle de niveau, comme il en existe pour les avocats, les actuaires. N'empêche, l'examen était assez difficile et j'ai dû pas mal étudier pour le passer. J'ai reçu pour me féliciter un beau petit certificat qui affirme pompeusement que je peux travailler comme traducteur. Après avoir lu cette notice, il m'a fallu une demi-heure pour arrêter de rire.
Puis, il y a le départ des étrangers. Ceux-ci, voyant finir leur séjour d'étude, quittent la Russie à pleine porte pour retrouver les leurs autour d'une dinde, d'un plat de moules et frites, d'une paella, d'une choucroute ou d'un hamburger, selon leur origine. Comme seule une faible fraction de ces étrangers revient en janvier, la fin décembre s'est vite transformée en marathon de prochaynie vetcherinki (partys d'adieu). Le coeur de ces soirées est invariablement l'intense échange d'adresses électroniques, griffonnées d'une main que l'on préfère croire trembler par l'émotion que par l'alcool, sur des petits bouts de papier ou des bloc-notes en ruine, autant de gages d'une future correspondance qui restera souvent a l'état de projet. Et bien sûr, la vodka et les larmes coulent a flot, se mélangent et forment un étrange cocktail. La plupart pleurent de joie leur départ et les autres, les malheureux, pleurent sincèrement leur non-départ. Mais qui ne serait pas triste de devoir passer Noël en lonesome student pendant que ses amis sont partis se prendre une grosse tranche de la magie du temps des fêtes avec leur famille? Votre fidèle serviteur, comme vous le savez, ne revient qu'en mai et faisait donc partie de la catégorie de ceux qui agitent le mouchoir du côté extérieur du hublot. Mais je constituais une sorte d'exception au sein de cette catégorie, car si je ne retournais pas vers ma maison, j'étais le seul dont la maison venait a lui. Ce qui m'amène au troisième événement majeur du mois passe: le séjour de mes parents en Russie.

Rubrique 11: Pavel et Magdalenskaia chez les Soviets
Y a-t-il quelque chose de plus comique que de voir les auteurs de ses jours, anciens porte-étendard de l'autorité parentale, plisser les yeux et déchiffrer avec peine le mot "sortie" pour réussir à sortir du métro? Pendant trois semaines, je suis devenu le guide touristique, traducteur, gentil organisateur, porte-parole et accompagnateur de la délégation parentale. Mon aide était absolument essentielle, et c'est facilement compréhensible: la Russie est russe et rien d'autre, alors gare à ceux qui ne parlent pas la langue! Ça parait évident, dit comme ça, mais il existe beaucoup de pays dans le monde où il est facile de se débrouiller sans savoir la langue locale, soit parce que les infrastructures touristiques sont très développées, soit parce que les gens ont globalement une bonne connaissance de l'anglais. On peut par exemple voyager en Grèce, en Turquie, en République Tchèque sans avoir à se taper la méthode Assimil au complet. Or, voyager en Russie, c'est un peu comme ce que je m'imagine d'un voyage en Chine. Imaginez-vous seulement: vous êtes dans une gare, vous voulez acheter des billets, mais ABSOLUMENT TOUT est en russe, en beau gros cyrillique, et personne ne parle autre chose que le russe. Bonne chance. De fait, en Russie, seule l'infrastructure touristique de luxe est développée, ce qui signifie que l'on ne trouve un service en anglais qu'à condition de fréquenter les trappes a touristes et donc d'être prêt à mettre le gros prix. Avis donc à ceux qui veulent voyager en Russie: à moins de profiter d'un contact qui parle russe ou de soi-même parler russe, il faut s'attendre à payer cher, très cher. Bien sur, il est physiquement possible de se présenter dans un restaurant ou un hôtel pas cher, là où on ne parle que russe et de tenter de commander quelque chose de précis ou de réserver une chambre par le seul langage des signes, mais il s'agit là d'une aventure que je ne conseille qu'aux plus courageux. Ne nous étonnons donc pas si la grande majorité des touristes qui viennent en Russie le font via un voyage organisé. Mais bref, mes parents avaient la chance inouïe de posséder un fils parlant russe et ils ont donc pu faire un voyage à un prix raisonnable et, surtout, sortir des sentiers battus pour voir la vraie vie russe. Avant leur arrivée, j'appréhendais qu'ils soient vraiment trop dépendants de moi et que je doive les nourrir à la petite cuillère. Tout compte fait, ils étaient effectivement dépendants, mais je dois honnêtement reconnaître qu'ils se débrouillaient pas mal bien.
Ils sont restés quatre jours à Saint-Pétersbourg, puis sept a Moscou, puis encore neuf à Saint-Pétersbourg. Ils ont beaucoup apprécié leur voyage, même s'ils disaient regretter de n'avoir pas pu échanger un mot avec les Russes eux-mêmes.

Rubrique 12: Moscou
Évidemment, je ne pouvais pas envoyer mes parents à Moscou sans moi. D'abord, parce que je ne pouvais pas rater l'occasion d'un voyage tous frais payés, ensuite parce que sans moi, mes parents ne seraient jamais allés plus loin que la gare. Et alors, se pose l'éternelle question, celle qui revient dans la bouche de tout Russe: "Et toi, disent-ils d'un air faussement indifférent, quelle ville tu préfères, Moscou ou Pétersbourg?". Il faut savoir que la relation qui lie les deux villes ressemble, en dix fois pire, à celle entre Montréal et Québec: un mélange de concurrence haineuse et de jalousie réciproque. Je ne me lancerai pas trop profondément dans le sujet, qui est insondable et qui résume en lui-même une importante part de la dualité de la Russie, mais j'en ferai un bref portrait.
Moscou et Saint-Pète ont beau être dans le même pays, ce sont deux villes opposées, qui chacune constitue le symbole d'un aspect de l'esprit russe (j'évite sciemment d'utiliser l'expression "âme russe", qui est trop usée pour signifier quoique ce soit, comme l'expression "développement durable", soit dit en passant). Moscou est une ÉNORME ville, tentaculaire à souhait. Elle compte officiellement 9 millions d'habitants, mais c'est sans compter les immigrants illégaux, qui sont des millions. C'est une ville moderne, ou des édifices en verres ultra-modernes côtoient les tours-bunkers soviétiques et les églises médiévales aux coupoles flamboyantes. Mais c'est surtout une ville russe, au sens culturel du terme. L'architecture est russe, de cette beauté tarabiscotée et raffinée qui est pour nous si exotique. Dans cette ville bat le coeur de la vie politique russe, dans cette ville se sont déroulés les événements fondateurs de la nation russe et, surtout, l'anarchie avec laquelle la ville est bâtie et qui l'anime aujourd'hui encore, est typiquement russe. Bien sur, toute la Russie est russe, mais on sent que Moscou est russe dans le sens "lié à toutes les traditions, à l'histoire et ce qui a fait des Russes ce qu'ils sont aujourd'hui". Cet aspect se rapproche au courant philosophique, littéraire et politique des slavophiles, proches des traditions et de l'Église orthodoxe, qui refusent de se laisser influencer par l'Occident. Saint-Pétersbourg, de son côté, est la ville-symbole des occidentalistes. Ces derniers, qui sont tout aussi russes que les Slavophiles, mais qui leur sont complètement opposés, cherchent, comme leur nom l'indique, à orienter la Russie vers la voie de la "modernité" en suivant l'exemple de l'Occident. Le premier grand et peut être le plus connu des Occidentalistes est le Tsar Pierre Premier (que l'on appelle chez nous Pierre le Grand), qui fit bâtir Saint-Pétersbourg sur un marais à l'image des capitales européennes et particulièrement d'Amsterdam (pour les canaux). D'un point de vue urbanistique, l'ordre cartésien de cette ville contraste de façon drastique avec l'anarchie de Moscou. Mais le plus impressionnant est bien sûr l'architecture de cette ville de palais, bâtis par des Italiens sur des modèles Italiens, Français et Hollandais. Afin de marquer clairement la nouvelle ouverture de la Russie a l'Occident, Pierre (appelons-le par son petit nom, après tout, nous avons mangé 16 kilos de sel ensemble, comme disent les Russes), qui haïssait Moscou, fit de Saint-Pétersbourg sa capitale. Et elle le resta jusqu'à ce que les communistes, nettement plus slavophiles qu'occidentalistes, rapatrient la capitale à Moscou. Puis le gouvernement soviétique se désintéressa complètement de Saint-Pétersbourg et la ville fut épargnée des montagnes de bétons staliniennes. La ville subsiste donc encore aujourd'hui avec le visage qu'elle avait au dix-neuvième siècle. Ce qui était un rêve de modernité est devenu un trésor du passé.

Rubrique 12: le meilleur courriel jamais reçu
J'aimerais maintenant partager avec vous un moment assez court mais ô combien marquant de mon existence. Un beau jour, vers la fin décembre, je m'installe au café Internet pour lire mon courrier et vérifier, comme dit mon ami Isaac, si quelqu'un m'aime, et je découvre dans ma boite de réception un message. Mais quel message! Il allait comme suit (attention, ça cogne!):


"Moi, je m'occupe de la salade de pâtes et poulet!"

Fin du message.

J'ai été tout simplement bouleversé par tant de force poétique. Je n'aurais pas cru qu'on pouvait résumer tant de réalités fondamentales de l'existence en une seule phrase. Je me sens privilégié, ce n'est pas tout le monde qui peut se vanter de recevoir de tels messages jusqu'en Russie.

Merci Chloé.


Rubrique 13: Le doublage
Je me suis aperçu en parlant avec Danaïl (c'était au début décembre, le temps file), que je n'avais toujours pas parlé dans mes rubriques du phénomène on ne peut plus intéressant du doublage des films en Russie. De façon générale, on peut résumer cela par la célèbre sentence confucéenne: "ça vaut pas de la chnoute". Mais mon professionnalisme inné m’intime l’ordre d'entrer dans les détails. Donc, voici:
Le doublage en Russie répond a des critères de qualité extrêmement variables, selon le contexte. J'ai moi-même divise ces différentes qualités en trois catégories.
--------1-Première catégorie, la plus mauvaise. Lorsque l'on achète dans la rue un DVD qui est de toute évidence piraté, comme par exemple un DVD avec dix films de Tim Burton, on doit s'attendre au pire. Et le pire, c'est ça:
-en arrière fond, on entend la voix originale en anglais et plus fort, par-dessus, la voix russe
-un seul acteur fait les voix de tous les personnages, qu'ils soient des petites filles ou un gros méchant. Mélangeant à souhait.
-l'acteur qui fait le doublage ne manifeste pas plus d'émotion qu'une boîte de petits pois. Peu importe si on entend la voix en anglais pleurer ou rire, la voix russe a toujours le ton monotone d'un ours endormi.
-quand les personnages chantent, la voix russe débite les paroles d'un air monotone, en parlant. À ce sujet, je regrette que vous ne soyez pas là en personne pour que je vous fasse mon imitation personnelle de la version russe et parlée de Singing in the Rain. Mémorable.
---------2-Deuxième catégorie. Quand on achète un DVD dans un magasin, ou quand on regarde un film a la télé, on peut s'attendre a un peu plus de qualité. On est donc en droit de croire que:
-il y a maintenant deux acteurs russes, un homme et une femmes, qui se séparent tous les personnages du film. Légèrement moins traumatisant.
-les doubleurs sont sûrement des acteurs et ils savent manifester des émotions. On distingue la joie, la colère et même la tristesse.
-quand les voix originales chantent, il n'y a pas de doublage. Oui, je vous assure que c'est un progrès!
-mais les voix originales anglaises sont toujours là.
-----------3-Troisième catégorie. Il m'est arrivé de voir des films à la télé parfaitement doubles. Bon, je n'ai pas besoin de vous faire un dessin, c'est comme chez nous. Un acteur pour chaque personnage et pas de voix en arrière.
Si cette échelle de qualité s'applique de façon générale à la réalité, il y a des cas d'exception où on ne trouve pas la qualité à laquelle on s'attendrait. Par exemple, je suis un jour allé voir Orange Mécanique en russe dans un cinéma de répertoire. Et bien, il s'est avéré que le cinéma passait une copie piratée, d'une qualité digne d'un film acheté dans sur la rue.
Autre anecdote. Une amie m'a raconte qu'alors qu'elle écoutait un film qu'elle avait acheté dans la rue, elle a eu la surprise d'entendre les voix russes dire, au milieu du film: "Allons boire un thé! Ah, d'accord!" Puis un silence de vingt minutes pendant que les personnages continuent à parler silencieusement a l'écran. Puis, retour des doubleurs qui poursuivent le doublage la ou le film était rendu. Eh bien.
Mais pour conclure, disons que le meilleur truc pour ne pas souffrir du mauvais doublage en Russie, c'est d'acheter des films russes.

Rubrique 14: le cadeau surprise
Comme promis, voici le bonus pour compenser l'absence de parution de Guillaume chez les Soviets en décembre. C'est d'une certaine façon votre cadeau de Noël. Il s'agit de la traduction de la célébrissime chanson du Blé d'inde (pardon, Ma Chérie) de François Pérusse, en russe.

Maia Daragaia (c'est le titre)

Da, da, da, da, moi druzia
Kukuruza rostiot v poliakh
Kukuruza zastiat mejdu zubami
Kukuruza, na etom mojmo polojit maslo
Kukuruza la la la la la la
Kukuruza v konservnakh, eto sdelano kukuruzoi
Kukuruza v kreme, etot krem i kukuruza
Nekotorye ediat kukuruzu priamo
I drugye kucaiut yiyo slevo i sprava
Kukuruza kogda snimaech kojuru etovo, ty polutchich kojuru s mnogimi volosami
I esli naidioch volos na tvoem kukuruze, nikomu ne govori esli ty ne khotchech ...
Kukuruza! Kukuruza! Kukuruza! Kukuruza! Kukuruza!
Odna kukuruza, kak dve kukuruzi, mojno est kak odnu kukuruzu
Tri kukuruzi eto odna kukuruza bolche tchem dve kukuruzi, daragaia!
Kukuruza daragaia!



Ah, et j'ai joint un paquet de photos, comme la dernière fois.


J'espère que vous profitez de mon absence pour aller tous bien. Je le souhaite, du moins. Si vous voulez me transmettre quelque chose (de l'argent, par exemple), il vous reste quelques jours pour le donner à Geneviève qui vient me rejoindre le 27 janvier. (Si vous voulez me faire parvenir de la drogue, le mieux est de ne pas le dire explicitement a Geneviève, elle risquerait de refuser).
Bien sur, vous êtes toujours invités à me donner de vos nouvelles ou à me mettre au courant des nouvelles brûlantes de chez nous. Je n'ai malheureusement pas toujours le temps de répondre individuellement aux messages que je reçois (d'ou l'idée de la chronique que vous lisez en ce moment), mais dites-vous que ça ne m'empêche pas de sincèrement apprécier tous les messages qui me parviennent ainsi, qu'ils soient des réactions à mes propres messages, des questions, ou simplement une tranche de vie.


Allez en paix, la messe est dite!



Celui qui reste, malgré les métamorphoses,
Guillaume
25 janvier 2007

P.S. Merci pour l'appel, chers membres du Trio de la Musaraigne constipée, c'était vraiment bien d'avoir pensé à moi et j'ai vraiment hâte de participer de nouveau et en personne à nos très sérieuses réunions. Le monde a un urgent besoin de notre sagesse.
P.P.S. En parlant de musaraigne, j'en ai vu une vraie (empaillée) au musée zoologique de Saint-Pète. Je croyais que c'était gros comme une marmotte, mais en fait c'est plus petit que mon pouce! Comme quoi c'est allant a l'étranger qu'on se connaît mieux soit même.

1 commentaire:

  1. salut Guillaume, c'est Valérie, la fille de Georges Desjardins. J'ai lu tes sagas avec plaisir et j'espère qu'elles se perpétueront encore longtemps. ça donne envie de faire un blogue de voyage, je ferai peut-être le pas lorsque je serai au Yukon pour l'année qui vient, (histoire de vraiment me sentir Canayienne) Au plasir de se revoir un jour!

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