lundi 5 janvier 2009

Guillaume chez les Soviets, tome 1

Bonjour à vous, tovarichi

Voici inauguré, en temps réel devant vos yeux éblouis et cela grâce à la magie magique de la technologie, le premier épisode de la saga nordique Guillaume chez les Soviets. La longueur en est compensée par la faiblesse du tirage.

Épisode numéro Un : Guillaume arrive et Saint-Pétersbourg l’acclame comme un Dieu
Le premier contact avec Saint-Pétersbourg, à l’aéroport, est des plus chaleureux et mes contacts avec les Russes me ravissent dès le premier abord. Tout d’abord, la douanière qui martèle violemment de son tampon mon beau visa tout neuf, puis le préposé de l’université qui est venu me chercher a l’aéroport, énorme buffle en camisole qui sent la bonne sueur virile. Un sourire niais aux lèvres et les deux bras probablement allongés de 30cm par mes valises, je le suis dans sa camionnette branlante et nous nous mettons en route vers la cité de toutes les découvertes.

Je passe les trente premières minutes du trajet à lire tous les panneaux en cyrillique en n’y croyant pas moi même. Ce moment de contemplation passé, je me mets à observer les lois de la conduite automobile en Russie, ce qui s avère très intéressant. Voici un échantillon de mes observations:
-Les changements de voie ne se font pas par l’attente du moment propice, mais par la provocation très proactive de ce moment.
-Une lumière rouge n’est pas un motif raisonnable pour s’arrêter à un coin de rue.
-La ligne d’arrêt des véhicules au coin de la rue est une simple décoration, mieux vaut s’arrêter au milieu du carrefour.
-Si la circulation est très dense et vous semble trop lente, ne perdez pas votre temps et roulez sur le trottoir pour dépasser tout le monde.
-Quels piétons?

Mon conducteur particulier me dépose finalement à l obchijitie (la résidence), grosse baraque qui ressemble à une prison mais qui semble beaucoup mieux entretenue que tous les bâtiments des alentours. Dans ma chambre, je fais la connaissance de mon coloc: un gentil Chinois, installé ici depuis deux ans. La seule langue que nous avons en commun est le russe. Je sens que je vais progresser vite.

Bon, je pensais narrer dans le détail toutes les aventures palpitantes qui me sont arrivées ici, mais, a bien y penser, ça risque d’être un peu long et pas du plus palpitant (du genre, aujourd’hui, j ai acheté une botte de carottes et je me suis trompé d’autobus), alors je vais plutôt fonctionner par rubrique sur des sujets précis, ce qui va vous permettre, via mes observations ultra-scientifiques et toujours objectives, de vous faire une idée nette et précise de la vie en Russie. Donc, fin du format ÉPISODES et début du format RUBRIQUES.

Rubrique 1 : les Moustiques
Je suis maintenant bien installé dans la résidence, où nous avons la télé, internet et même la douche! C est un petit peu petit et disons qu’il serait impossible de faire une compétition de tango dans le mètre carré d’espace libre entre les lits, mais ça n’était pas non plus dans mes projets. Le principal désagrément ici, c’est les moustiques qui m’empêchent de dormir. C’est un peu ridicule à dire, car ce n’est pas comme si j’en étais à ma première rencontre avec ces charmantes bestioles, mais il faut dire que les moustiques russes sont paranormaux. Au premier abord, ils semblent physiologiquement identiques a nos bons vieux maringouins, mais ce n’est la qu’un fourbe déguisement pour dissimuler leur véritable nature. Car, en fait, ce sont de Supers-Maringouins! Tout d abord, ils vont à une vitesse tout a fait impossible et dont la seule explication plausible est la téléportation. Au moment où l’on réussit à en voir un, il disparaît aussitôt pour réapparaitre une seconde plus tard à quelques mètres de là. Et non, ce n’est pas un autre maringouin. Ensuite, ils sont immortels. Moi qui peut me vanter d’être l’auteur de nombreuses hécatombes parmi les moustiques québécois, je n ai jamais réussi à écraser un seul moustique russe. Comme la technique du meurtre artisanal ne semble pas avoir d’effet, moi et mon coloc avons décidé de recourir à la manière forte : nous avons complètement enfumé la chambre d’un produit antimoustique tout a fait terrible et qui doit être interdit dans tous les pays civilisés. J’ai cru que les appareils électriques allaient fondre et la tapisserie se détacher, mais finalement le mobilier a survécu et les moustiques, non. On devrait répandre de ce produit partout au Québec, il n y aurait plus un seul moustique vivant (ni plus rien d autre, d’ailleurs).

Rubrique 2 : La communication avec les Russes
Si vous croyez encore au mythe selon lequel les Russes ne sourient presque jamais, eh bien vous avez raison. En effet, la coutume russe veut qu’il ne faut pas sourire quand on n’en a pas sincèrement envie. Et comme, à bien y penser, il n’y a pas beaucoup de situations dans la vie de tout les jours qui donnent spontanément envie de sourire, on ne sourie pas souvent. Il ne faut donc pas s’étonner si tous les vendeurs, tous les conducteurs d autobus et tous les gens dans la rue ne sourient pas, car vendre du linge, conduire un autobus et se promener dans la rue ne sont pas des activités particulièrement drôles. Bien sûr, quand ils sont entre amis, et d’ailleurs les Russes adorent sortir entre amis (en fait, y a-t-il un peuple qui n’aime pas sortir entre amis?), les Russes sourient, ils savent comment faire. Mais dans les situations de la vie de tous les jours, les Russes trouvent complètement ridicules les étrangers qui sourient quand ils achètent un billet d’autobus et ont plutôt l’impression que nous sommes débiles légers. Si on veut faire des comparaisons, c’est un peu l’impression qu’on a lorsqu’on fréquente des Chinois (il y en beaucoup ici) qui sourient de façon permanente, qu’ils soient contents ou pas, et alors on a le sentiment que ça fait faux.
A part ça, la communication avec les Russes se déroule étonnamment bien, moi qui n’était pas capable d’aligner deux mots en Russe quand j’étais au Québec. D’ailleurs, la fois ou neuf étrangers sont restés coincés dans un ascenseur (capacité maximale : 4 personnes), j’ai même servi d’interprète avec le technicien russe. C est à dire que je traduisais les insultes et les cris de ce charmant technicien qui s’était fait réveiller en pleine nuit. Mais à part ces quelques moments de gloire, mes conversations avec les Russes varient de l’échec lamentable au succès relatif, selon les jours et selon ma chance.
Le fait est que les Russes me prennent tout le temps pour un Russe et s’adressent spontanément à moi dans la rue, probablement à cause de mon air sympathique, serviable et admirable en tous points. Alors bref, ils m’arrêtent et me posent une question. Il y a alors deux possibilités :
Possibilité 1 : Je ne comprends pas un mot de ce qu’il raconte, ou alors pas assez pour comprendre le sens profond de leurs préoccupations et je réponds n’importe quoi (souvent) ou alors que je ne le sais pas (rarement). Alors, les Russes peuvent réagir de deux façons :
Possibilité 1.1 : Ils sourient de façon sympathique en réalisant que je suis un étranger et tentent de m expliquer davantage leur question avant d’abandonner en s’apercevant que c’est une cause perdue.
Possibilité 1.2 : La plus drôle : ne réalisant pas que je suis un étranger et me prenant pour un retardé mental, ils reculent en ouvrant de grands yeux puis m’ignorent complètement, comme si je n’avais jamais existé.
Possibilité 2 : Par miracle, je comprends parfaitement la question et je trouve les mots pour répondre de façon correcte et le Russe se retire satisfait, sans réaliser que je ris de façon machiavélique derrière lui, car j’ai habilement réussi à dissimuler ma véritable nature d’espion étranger.
Bon, mes relations avec les Russes se bornent pour l’instant à ces brèves conversations de rue, ainsi que des discussions avec mes professeurs. Il serait temps que je me tienne un peu moins avec des francophones (Français, Suisses, Belges) et que je me fasse des amis russes. Mais je ne vois pas quel intérêt ils auraient a m’entendre massacrer leur langue, a part bien sûr profiter de ma réjouissante présence.

Bon, je sais que je parle de trucs assez bizarres et que j’oublie probablement de parler du plus important, mais ce serait un peu long d’aborder tous les aspects de la vie ici. Si vous voulez avoir des nouvelles sur un sujet précis (exemple, l’architecture, les transports, la météo, la soupe a la betterave, la mafia, l’art néo-birman de la période du Majmalarada supérieur, la vodka, etc.), faites-moi parvenir un formulaire dûment rempli. Gardez la copie rose et faites-moi parvenir la bleue.

Ah, et j’ai oublié de dire que je vais bien, à part la mutation étonnante qui m’est arrivée mais dont je vous réserve la surprise pour mon retour.

Donnez-moi de vos nouvelles, ou des nouvelles du monde, parce que la lecture des journaux russes s’avère encore assez souffrante pour le cerveau et que je suis donc assez déconnecté de tout.

Nou, paka!



Guillaume ( Ça, c’est mon nom écrit en russe, mais avec l’alphabet latin)

17 septembre 2006


P.S. Longue vie à la Musaraigne constipée. Vérification faite, les clôtures russes sont moins dangereuses à escalader que celles près de La Ronde.
P.P.S. Simon Letendre, pourrais-tu me faire parvenir les adresses électroniques de Simon Murray et de la députée de Depelteau, s il-te-plait? Merci.

dimanche 4 janvier 2009

Guillaume chez les Soviets, tome 2

Priviet tovarichs!

Eh oui, voici déjà le nouveau tome de la saga nordique "Guillaume chez les Soviets", celle qui donne des nouvelles du héros éponyme, tout en suivant une importante mission d'éducation populaire au sujet de la Russie. Certains s'étonneront peut-être de la faible fréquence de publication de cet ouvrage. Deux facteurs importants peuvent expliquer une telle rareté:
petit a: la qualité tout a fait exceptionnelle des méditations philosophiques que contiennent ces rubriques, qui ne peuvent qu'être le fruit de nombreuses semaines de réflexion.
petit b: je suis paresseux

Je tiens d'abord a remercier chaleureusement tous ceux qui m'ont répondu, épanchant ma soif de nouvelles et me donnant du même coup la brève illusion de n'être pas si loin de chez moi.
Ces charmants correspondants ont, pour la plupart, répondu à ma demande en me suggérant des sujets à traiter. J'ai longuement compilé toutes ces demandes et je suis parvenu a les résumer toutes en un seul mot: vodka! On voit bien ce qui vous obsède, petits coquins.
Or, comme je ne trahis par mes engagements, voici la...

Rubrique 3: la Vodka.
Oui, la vodka est une institution en Russie. Il suffit de pénétrer dans un magasin d'alimentation, n'importe lequel, pour s'en faire une idée. L'étalage de vodka occupe un mur entier et offre une diversité tout à fait étourdissante. De plus, cette boisson ne s'avère absolument pas chère (enfin, pour les étrangers), puisqu'on peut acheter une bonne bouteille (d'un litre) pour cinq dollars environ. Le choix est vaste, car les Russes reconnaissent des qualités et des gouts aux marques différentes. Personnellement, je leur trouve toutes un charmant petit gout d'alcool à friction, mais ça doit être parce que je n'ai pas le palais raffiné. A part ça, les Russes en fabriquent souvent eux-mêmes, ce qui revient bien sûr encore moins cher, mais qui n'est absolument pas recommandé pour tous les estomacs fragiles ou simplement étrangers. Le conseil que l'on m'a donné à ce sujet va comme suit: refuser toute vodka faite maison, sous peine de suicide gastrique.
Le problème avec cette recommandation est qu'elle s'oppose à toutes les règles de bienséance russes. En effet, tous les guides de voyages s'accordent pour dire qu'il est absolument impoli de refuser un verre de vodka (faite maison ou non) offert par des Russes. Le petit hic, c'est que les Russes offrent rarement un seul verre de vodka à la fois. Bonne chance pour survivre. Je reviendrai plus tard sur mes expériences personnelles et sur la façon élégante avec laquelle j'ai évité le coma éthylique.
Ceci dit, la consommation de vodka tend à baisser en Russie au profit de la bière. La bière locale est encore moins chère que la vodka et elle n’est pas mal non plus.
Autre particularité locale, il n'est pas interdit en Russie de boire de l'alcool dans la rue. À toute heure de la journée et dans tous les coins de la ville, on croise donc continuellement des passants en train de caler une bière en attendant la lumière verte. Je sais bien que, fondamentalement, le fait de boire une bière affalé sur son sofa ou sur le bord du trottoir ne change pas grand chose au geste lui-même, mais il reste que pour un étranger au regard plein d'innocence (comme moi, véritable Bambie humain), ça donne pas mal un air d'acoolo. D'ailleurs, puisqu'il en est question, l'alcoolisme est un problème vraiment grave en Russie. En fait, c'est pas mal le problème social numéro 1 et cela depuis que l'alcool existe (ce qui remonte à avant la roue, car l'humanité a le sens des priorités). Le soir, il arrive souvent de croiser des saoulons dans la rue. Je n'ai pas besoin de vous dire que je tends à éviter leur fréquentation, pourtant très joyeuse.
Bon, trêve de considérations générales. Il est temps de vous narrer mes expériences personnelles avec notre amie la vodka.
Il y a de cela environ trois semaines, je suis invité par des amis à une vetcherinka (party, en russe. Mot aussi fondamental ici que priviet (bonjour) et dourak (imbécile)) dans leur résidence. Pour humidifier nos palais pendant la soirée, nous achetons deux bouteilles d'un litre de vodka et deux pots de cornichons. Petite explication: aucun de nous n'est amoureux des cornichons, mais il est habituel en Russie de grignoter entre les rasades de vodka (il y a même un verbe juste pour décrire ça) et c'est, en général, des cornichons. La soirée s'avère très joyeuses : plusieurs autres bouteilles de vodka sont ouvertes. A ce moment, nul ne pouvait se douter parmi nous que la plupart des membres présents allaient vivre chacun de leur côté des aventures mémorables suite à cette soirée. Voici un petit résumé de ces aventures, dont vous tirerez vous même une morale quant à la consommation de vodka. Les noms des personnes concernées sont censurés, afin de protéger leur réputation.
- X, un russe, qui s'était vanté de ne jamais ressentir les effets de l'alcool s'effondre le premier en fin de soirée dans le corridor, après une longue danse solitaire aussi frénétique que ridicule. Nous le trainons jusqu'à son lit. Trois fois pendant la nuit il tombe de son lit et se met à convulser, si bien que ses colocs sont songent à appeler un corbillard. Il s'en sort finalement grâce à l'intervention de Saint-Vladimir, patron des causes désespérées. Phénomène incroyable: pendant son sommeil alcoolise, il défèque dans son pantalon. La vodka permet des exploits insoupçonnés.
- Y, un Français, tente de rejoindre ses amis dans un club à la fin de la soirée mais est surpris par l'ouverture des ponts (à Saint-Pete, pendant la nuit, les ponts s'ouvrent pour laisser passer les bateaux et on peut rester prisonnier d'un quartier encerclé par les canaux). Il décide, ô intelligence vive, de dormir dans un parc. Là, il est apostrophé par des policiers russes (les individus les plus dangereux de la ville, avec les skinheads). Complètement saoul, ne parlant pas un mot de russe, il est emmené au poste où il passe la nuit dans des conditions plus que douteuses. Il ne retrouve sa liberté que quand un de ses amis finit par dessaouler et vient payer la caution.
-Z, une Française, rentre d'urgence dans la famille où elle habite, car on croit que l'appartement va exploser a cause d'une fuite de gaz. Fausse alerte. Je sais, ça n'a pas de rapport avec la vodka, mais c'est arrivé le même soir.
-G, un sympathique Québécois doté de tous les charmes, passe la soirée à manger des cornichons dégueulasses en se disant qu'il évitera ainsi l'ivresse excessive. Sans résultat: il se forge dans toute la résidence une réputation de chanteur dans les ascenseurs et c'est par un miracle qu'il ne peut s'expliquer (de fait, il ne s'en souvient plus), qu'il réussit à rentrer dans sa résidence. Ses seuls souvenirs de la fin de la soirée sont un jeu amusant sur le chemin du retour: tenter de marcher droit, sans succès. Les cornichons à moitié digérés finissent leur vie sur le plancher à côté de la toilette. Triste destin. Pour notre héros, toute la journée du lendemain se déroule avec la tête comme un sauna et l'estomac comme une vieille guenille tordue.
Tous les participants de cette soirée se sont jurés, chacun de leur côté, de ne plus boire de vodka avant un mois et tous ont manqué à leur parole.
Et vive la bière!

Rubrique 4: Obchijitie (la résidence)
Avant de venir en Russie, j'avoue que je nourrissais certains préjuges sur la salubrité et l'hygiène de ce pays. Concernant la résidence universitaire, je m'attendais donc à tout: saleté, chauffage défectueux, murs aussi isolants que du papier calque, joyeux cafards et voisins psychopathes. Quelle ne fut donc pas ma surprise de découvrir en ma résidence exactement le contraire. Tout d'abord, la résidence est très propre. Les planchers sont lavés chaque matin (et chaque matin je passe a un doigt de glisser et d'imprimer la marque de mes molaires sur les dalles mouillées). Ensuite, les ascenseurs fonctionnent. La seule fois que je les ai vus hors d'usage, c'était la fois ou neuf étudiants avaient eu la géniale idée de s'entasser dans l'ascenseur dont la capacité maximale est de quatre personnes. La porte s'est fermée et ils sont restés pendant une heure dans un état tellement compact qu'ils formaient un seul bloc humain quand on les a sortis. Et finalement, les chambres sont petites mais parfaitement vivables et mon voisin n'est pas, en apparence du moins, un psychopathe. Après quelques semaines de vie dans ce palais des plaisirs luxueux, j'étais en train de me reprocher la dureté de mes préjugés sur la Russie quand j'ai rendu visite à un ami dans une autre résidence. Et là, j'ai découvert l'horreur: c'était tout simplement plus laid que les sous-sols de l'UQAM.

La résidence était constituée d'un immense bloc de béton dans lequel on aurait creusé des chambres avec une cuillère a soupe géante. Partout, le béton est à nu, à peine recouvert d'une couche de peinture qui a du connaitre les arrière-grands parents de Lénine. Le froid traverse les murs aussi facilement que le son et les habitants les plus nombreux de la résidence sont petits, noirs, gluants et n'ont pas payé pour la chambre. L'ascenseur est un phénomène en soit. En effet, qui aurait cru que cinq plaques de tôle et une porte pouvaient s'élever jusqu'au 18e étage. De fait, ça ne se produit jamais. Dans une symphonie de grincement qui fait croire qu'on égorge une porcherie au complet et qui donne de l'inspiration pour des blagues de bébés morts, l'ascendeur se balade d'étage en étage selon sa personnalité propre, s'arrêtant là où on ne l'a pas demandé et passant tout droit des étages demandés. Pour couronner le tout, le passager inquiet peut, s'il en a le courage, glisser un œil par les mauvaises jointures de la tôle et admirer la vue vertigineuse de la cage d'ascenseur.
J'ai alors compris que ma résidence n'était pas la règle, mais l'exception.


Rubrique 5: le conflit Russo-géorgien
Petite rubrique un peu plus sérieuse a l'adresse de ceux qui seraient intéresses à en savoir plus sur l'affrontement (pour l'instant) diplomatique entre la Russie et la Géorgie, tel que vécu a l'intérieur de la Russie. Mise en contexte:
Comme vous le savez, le Premier Ministre géorgien Saakachvili a déclaré il y quelques mois qu'il désirait faire entrer son pays dans l'OTAN pour le faire sortir de la sphère d'influence russe. Le gouvernement russe, par représailles, a ralenti, sinon arrêté, le processus de retrait des bases militaires russes en Géorgie. Le gouvernement géorgien, par représailles, a arrêté des officiers russes et les a emprisonnés en les accusant d'espionnage. Le gouvernement russe, par représailles, a établi un blocus commercial et diplomatique avec la Géorgie. Les diplomates russes ont été évacués et la distribution de visa russe a été interrompue pour les Géorgiens.
Fin de la mise en contexte.
Ce qui est intéressant, c'est la façon dont ce conflit s'est élargie, avec l'encouragement du gouvernement, en Georgiophobie parmi la population. Ici, les restos retirent les mets géorgiens de leurs menus. La police, quant à elle, arrête quiconque a un air caucasien et, si l'individu s'avère Géorgien, l'arrête et ne le libère que contre une "caution volontaire". La police s'arrange aussi pour faire tellement de contrôles aux commerces tenus par les Géorgiens que ceux-ci se voient obligés de fermer temporairement. Les journaux disent qu'a Moscou, on expatrie les Géorgiens. La population ne semble pas réagir. Il faut dire que les journaux qui en parlent sont ceux qui sont à peu près introuvables en kiosques et que la télé est entièrement dépendante du pouvoir. Comme on dit toujours ici en conclusion à tout phénomène étrange: Eta Rassia! (C'est la Russie!)


Sur ce, je vous salue tous et je vous encourage à m'écrire de vos nouvelles, des nouvelles du pays (vous savez duquel je parle) ou des demandes de sujets à traiter. Ça fait toujours plaisir de savoir que vous êtes encore en vie.

Je vous encourage aussi à consulter le nouveau et très intéressant site du Trio de la Musaraigne Constipée, temple de toutes les théories les plus révolutionnaires: http://constipee.blogspot.com/

Allez, poka!

Guillaume
30 octobre 2006

samedi 3 janvier 2009

Guillaume chez les Soviets, tome 3

Priviet tovarichs!

Vous la croyiez éteinte, enfouie sous un déluge de neige et de glace puis négligemment piétinée par un mammouth, mais non: la trépidante saga nordique "Guillaume chez les Soviets" est de retour! Toujours plus trépidante, toujours plus nordique, toujours plus soviétique! Et porteuse d'une grande nouvelle : je suis encore en vie! Je me doute que vous commenciez à en douter. Je soupçonne aussi que vous ayez commencé à négocier entre vous la séparation de mes maigres possessions matérielles. Eh bien, je vous le dis tout raide, je suis encore en vie, plus en forme de que jamais (complètement faux, je n'ai pas fait de sport depuis la descente de l'avion. D'ailleurs, dans l'avion non plus.) et vous pouvez tout de suite oublier l'idée de me chiper ma pancarte "sens unique" qui trône dans ma chambre et qui fait l'envie de tous (surtout de mon père, qui veut s'en emparer pour la jeter aux poubelles). Dans à peine ^$^#$*^ mois, je reviendrai, plus grand, plus fort, avec la voix plus grave, moins souriant, bref plus russe, et je reprendrai ma vie la où je l'ai laissée, c'est à dire dans un état de toute première fraîcheur.

La plupart des gens qui m'ont répondu, et que je salue bien bas au passage en balayant le sol de ma chapka, m'ont reproché de peu révéler dans mes messages d'informations sur ma vie ici, comment je m'occupe, ce que je fais et tout cela. Eh bien, j'avoue ne pas avoir abordé le sujet parce que je considérais que ce n'était pas du plus grand intérêt, mais, après tout, ça pourrait être utile pour une biographie, plus tard...

Rubrique 6: La vie quotidienne
À part le commerce des métaux précieux et les liens étroits que j'entretiens avec la mafia concernant des histoires de prostitution, ma vie quotidienne s'avère assez routinière. Pendant la semaine, j'ai trois heures de cours de russe par jour (respectivement grammaire deux fois, littérature, journaux et conversation). J'occupe le temps qui me reste en faisant mes devoirs, ridiculement petits, en lisant en français (beaucoup) et en russe (de plus en plus), en sortant avec des amis étrangers comme moi ou en rencontrant un tandem. Un tandem, c'est l'appellation commune par laquelle on désigne une rencontre d'aide réciproque avec un russe. On parle la moitié du temps en français, l'autre en russe et tout le monde y trouve son compte. Quand mon ami Armin était encore là, nous faisions régulièrement des sorties culturelles: opéra, ciné, théâtre, musées, etc. Mais depuis le retour au bercail il y a un mois de ce Suisse (de 40 ans mon aîné, d'ailleurs), j'ai un peu ralenti le rythme. En fait, je pourrais qualifier rétrospectivement de passage à vide toute la première moitié du mois de novembre, où j'ai été victime du syndrome d'effacement de la volonté, et pendant lequel je me suis donc activement saisi le beigne à deux mains. Il faut dire qu'ici il faut trouver en soi-même la motivation de faire quoique ce soit, puisque rien ni personne ne te force, ni même t'encourage a travailler. Si ce n'était de ma réelle motivation à apprendre le russe, je pourrais vraiment faire de ce séjour une longue période de vacance et passer toute la journée a me bronzer le nombril sur les plages (enneigées) de la Neva. Me connaissant, je peux dire que c'est une bonne chose que je n'aie pas d'ordi dans ma chambre pour me distraire. Alors je lis, je regarde des films russes sur mon beau lecteur DVD tout neuf et réussi même a manquer de temps pour aller au café internet. J'avoue que mon enthousiasme n'est plus aussi délirant qu'à mon arrivée, mais l'euphorie pouvait-elle vraiment durer 9 mois?

Rubrique 7: le Kunstkamera
Je tiens a partager avec vous (mon psy m'a dit de ne pas garder ça pour moi, car le refoulement est mauvais pour mon équilibre mental) une des expériences les plus bouleversantes du dernier mois, soit ma visite au Kunstkamera. Derrière ce joli nom, que l'on donnerait volontiers à sa fille si l'on ne craignait qu'elle ne se fasse traiter de méchant robot de l'espace pendant toute son enfance, se cache un célèbre édifice de Saint-Pète. Construit sous Pierre le Grand, donc au 18e siècle (ma mémoire ne me permet pas d'être plus précis), il est devenu le premier musée de Russie. Premier dans le sens chronologique, car son volume ne peut en aucun cas se comparer à celui de l'Ermitage, bâti un siècle plus tard de l'autre côté de la Neva. Le Kunstkamera est aujourd'hui un musée d'ethnographie et d'anthropologie. On y trouve donc de jolies expositions sur les amérindiens de chez nous, ainsi que sur les cultures traditionnelles japonaises, chinoises et tout le tralala. Mais les Russes qui s'y rendent en masse passent tout droit devant les kayaks en fesses de castor et les maquettes de rizière en plastique pour aller directement au clou du musée, la collection scientifique personnelle de Pierre le Grand. Le monarque fantasque, qui s'intéressait à tout, de la menuiserie à la porcelaine en passant par l'élevage du mouton, acheta à un anatomologiste néerlandais une collection de spécimens anatomiques particuliers et curieux. De façon plus claire, disons qu'on peut "admirer" dans une salle spéciale de ce musée tout une collection de bocaux remplis de formol, dans lesquels baignent depuis trois siècles (attention, attachez votre tuque:) des foetus humains à deux têtes, des siamois mort-nés, des têtes de bébés morts tranchées en deux et dont on peut admirer l'intérieur, des bras arrachés de bébés morts, des testicules orphelines du reste du corps, des oreilles dans la même situation, des bébés rendus monstrueux par des hernies géantes, des bébés cyclopes et autres monstruosités de toutes les formes, mais toujours de la même couleur jaune malade. Malade, je me sentais le devenir moi-même en regardant ces horreurs. Moi qui me croyais insensible, j'étouffais des cris d'horreurs à chaque nouvelle vitrine, à chaque nouveau bocal. J'ai du sortir avant d'avoir tout vu, je me sentais réellement mal. Assis sur un banc à l'extérieur de la salle maudite, deux comparaisons me sont venues à l'esprit. La première, c'est que voir cet endroit, c'est comme vivre un film d'horreur, mais en vrai, avec de la vraie chair. La seconde, c'est la ressemblance troublante entre cette salle et ce que j'imagine des restes d'une garderie entière passée a la broyeuse. Mais ce qui m'a le plus étonné, c'est que j'ai vu une mère emmener sa fille de 9 ans regarder ces "choses". À son age, j'aurais fait des cauchemars pendant 5 ans. Quand j'ai exprimé ma surprise à ce sujet à une amie russe, elle m'a dit que c'est une sortie scolaire classique pour les écoliers. Qu'on ne surprenne plus si les Russes sont endurcis à la souffrance. Montrer ça à des enfants, mon Dieu! Quant à moi, je ne pourrai plus faire de blagues de bébés morts avant des mois.

Rubrique 9: le Québec vu de Russie
Pendant qu'on s'échine partout dans le monde à fixer sur papier la véritable nature de l'âme russe, peut-être vous êtes-vous déjà demandé ce que l'on pense du Québec à l'étranger, et plus particulièrement en Russie? Eh bien, j'ai mené une enquête approfondie à ce sujet auprès des Russes, ainsi qu'auprès des étudiants étrangers (qui représentent donc pour l'occasion leur pays respectifs). En Russie, la réponse est simple: en général, on n'en pense rien, car on ne sait pas ce que c'est. Le cour de géographie est trop loin et, si on se souvient d'avoir déjà entendu ce nom, il arrive qu'on le confonde avec le Koweït (histoire vécue) qui se dit de façon semblable en russe. Voilà pour la majorité de la population. Cependant, la perception est différente pour la minorité plus éduquée ou plus ouverte sur le monde, que je fréquente davantage, car elle comprend les professeurs de langue et les étudiants de langues étrangères, qui sont mes voisins de résidence et de classe. Pour eux, la vision du Québec ressemble à celle des autres étrangers, soit les Allemands, Autrichiens, Espagnols, Américains, Belges, Italiens et même Français. Pour eux, le Québec est une province du Canada dans laquelle le fait français est à la fois minoritaire et folklorique. Dans leur regard, qui est donc celui de l'européen moyen, les Québécois sont avant tout des anglophones qui possèdent, dit-on, un certain patrimoine français. A l'exception de quelques Français et Belges, qui étaient vaguement au courant de notre réalité, ils étaient tous estomaqués de découvrir que (en ordre croissant de surprise):
1-ma langue maternelle est le français AVANT l'anglais
2-l'anglais n'est pas maîtrisé par tous les Québécois
et surprise parmi les surprises:
3-il y a une importante fraction des Québécois qui ne parlent tout simplement pas anglais (si on ne considère pas baragouiner comme parler)
Dans leur vision du Québec, une province bilingue de culture anglophone agrémentée d'un léger folklore francophone, je reconnaissais surtout la Louisiane (encore que...).
La preuve reste-t-elle a faire que, malgré notre aisance matérielle, malgré la facilité à vivre en français que nous a apporté la Révolution Tranquille, malgré la tranquillité apparente de notre situation politique, nous somme un peuple qui n'existera jamais, tant qu'il ne sera pas reconnu? Et ce n'est pas le simple qualificatif de "nation", que peut-être recevrons-nous bientôt comme prix de consolation, qui nous fera soudainement exister comme un vrai peuple parmi les autres. Tant que nous ne nous affirmerons pas dans le monde comme un peuple digne d'un pays, nous resterons ce que nous sommes aujourd'hui dans le regard du monde: un sous-peuple, une communauté ethnique, une petite tranche de folklore.

Rubrique 7: Détails intéressants
Sur une note plus légère, cette rubrique rassemble quelques courtes observations sur des aspects minimes, mais curieux, de la vie en Russie.
- la coupe Longueuil: Je pensais m'être enfuis assez loin pour ne plus avoir a subir la vision de ce symbole chevelu du mauvais goût, mais le voilà qui me rattrape : la coupe Longueuil fait fureur en Russie. Ciel! Dans la rue, il n'est pas rare de croiser de jeunes hommes qui la portent avec une ostentation impossible à concevoir pour mon esprit montréalais. Le phénomène est en fait si courant qu'on peut même discerner plusieurs types. Il y d'abord la longue et large, dont les vagues balaient les épaules. Plus il y a la plus courte, qui s'arrête au cou. Et enfin la toute mince, constituée d'une couette solitaire qui s'étire, échevelée, sur une vingtaine de centimètres. Vous connaissez d'ailleurs probablement cette dernière sous le charmant dénominatif de "queue de rat". Le plus troublant, c'est qu'il semble qu'on puisse s'habituer même au plus insupportable. Ainsi, a force de la subir, la vision de la coupe Longueuil ne me perturbe plus et je peux même dire, quitte à perdre quelques amis, qu'elle m'a paru bien aller à certaines personnes. Je vous réserve une surprise a mon retour...
- les magasins de chaussure. J'ai fait l'observation suivante: un magasin sur trois à Pétersbourg est un magasin de chaussure. Comme les Russes, vérification faite, ont le même nombre de pieds que nous, je reste sans explication devant ce phénomène
- les gros-boutons-ronds-dont-je-ne-connais-pas-le-nom-exact-parce-que-je-ne-suis-pas-estheticienne. Si l'on se fit a l'échantillon composé des gens qui prennent l'autobus, les Russes ont, dans une proportion incroyablement supérieure à nous, de gros boutons ronds et volumineux (je veux dire en trois dimensions) au visage. Je vous laisse faire vous même vos propres hypothèses liées à Tchernobyl.
- les oeufs. Il y a dix oeufs dans une boîte d'oeufs.

Sur ces considérations philosophiques, je vous salue tous et souhaite que Saturne, sortant sur son 36 de la maison du verseau, vous soit favorable. Continuez à m'envoyer de vos nouvelles et des nouvelles de chez nous, ça me fait toujours plaisir d'en recevoir. Suite aux demandes répétées que j'ai reçues, j'ai décidé de joindre à ce document quelques photos, sélectionnées avec un soin maniaque dans les quelques 700 que j'ai prises jusqu'à aujourd'hui. Cependant, comme j'ai déjà eu plusieurs expériences malheureuses avec l'envoi de photos à partir de ce café internet, j'appréhende que vous ne puissiez les ouvrir. Si c'est le cas, avisez-moi en tout de suite et je punirai l'ordinateur fautif comme il le mérite.

Poka

Guillaume
25 novembre 2006

vendredi 2 janvier 2009

Guillaume chez les Soviets, tome 4

Priviet k vsiem vam!

Eh, Boje moi! , ça fait une mèche que je ne donnais plus de nouvelles! Mais, n'ayez crainte, je ne vous ai pas oubliés. Seulement, Gospodi! , le mois dernier était tellement chargé en événements de tous genres et de tous poils que j'en ai un peu perdu mes bonnes habitudes de régularité: j'ai oublié la lessive et le linge sale s'est accumulé de façon à former une pente d'alpinisme au milieu de la chambre, j'ai oublié d'aller faire des courses et j'ai dû souper d'une tomate à quelques occasions, j'ai oublié une banane dans le bordel de mon bureau et elle s'est tellement émancipée avec le temps que j'ai dû courir avec un filet à papillon pour la rattraper, et je n'ai pas écrit. Pour me faire pardonner, j'ai donc conçu cette édition spéciale de Guillaume chez les Soviets, la saga nordique qui combat tous les préjugés par la seule force des mes jugements fins et objectifs, qui est exceptionnellement accompagnée d'un cadeau surprise à la fin. Oh, pas le droit de tricher et de regarder tout de suite, petits coquins. Il faut finir son assiette pour mériter le dessert.

Mais,tchiort vozmi!, quels étaient donc tous ces événements si trépidants qui ont monopolisés ta vie, me demanderez-vous. Eh bien, comme vous me connaissez, plus transparent qu'une porte de patio astiquée avec furie et Windex, je ne vous fais pas de secret et vous explique.

Rubrique 10: Un ti-peu de nouvelles
D'abord, dans la liste des événements qui m'ont aspirés comme un aspirateur une chaussette oubliée sous le lit (je ne sais pas ce que j'ai avec les métaphores aujourd'hui, ça doit être suite à la lecture de Pouchkine), il y a eu la fin de la session et ses deux inévitables corollaires, les examens et l'hécatombe des étudiants étrangers. Dans le premier cas, il n'y avait rien là de comparable à ce que j'ai pu vivre au Québec en terme de stress, d'angoisse ou même de volume d'étude. En fait, il n'y avait même pas d'examen à la fin de la session, parce qu'il n'y a tout simplement pas de session. Le seul examen que j'ai passé était un examen privé, payant, non lié a mes cours, une sorte de reconnaissance professionnelle de niveau, comme il en existe pour les avocats, les actuaires. N'empêche, l'examen était assez difficile et j'ai dû pas mal étudier pour le passer. J'ai reçu pour me féliciter un beau petit certificat qui affirme pompeusement que je peux travailler comme traducteur. Après avoir lu cette notice, il m'a fallu une demi-heure pour arrêter de rire.
Puis, il y a le départ des étrangers. Ceux-ci, voyant finir leur séjour d'étude, quittent la Russie à pleine porte pour retrouver les leurs autour d'une dinde, d'un plat de moules et frites, d'une paella, d'une choucroute ou d'un hamburger, selon leur origine. Comme seule une faible fraction de ces étrangers revient en janvier, la fin décembre s'est vite transformée en marathon de prochaynie vetcherinki (partys d'adieu). Le coeur de ces soirées est invariablement l'intense échange d'adresses électroniques, griffonnées d'une main que l'on préfère croire trembler par l'émotion que par l'alcool, sur des petits bouts de papier ou des bloc-notes en ruine, autant de gages d'une future correspondance qui restera souvent a l'état de projet. Et bien sûr, la vodka et les larmes coulent a flot, se mélangent et forment un étrange cocktail. La plupart pleurent de joie leur départ et les autres, les malheureux, pleurent sincèrement leur non-départ. Mais qui ne serait pas triste de devoir passer Noël en lonesome student pendant que ses amis sont partis se prendre une grosse tranche de la magie du temps des fêtes avec leur famille? Votre fidèle serviteur, comme vous le savez, ne revient qu'en mai et faisait donc partie de la catégorie de ceux qui agitent le mouchoir du côté extérieur du hublot. Mais je constituais une sorte d'exception au sein de cette catégorie, car si je ne retournais pas vers ma maison, j'étais le seul dont la maison venait a lui. Ce qui m'amène au troisième événement majeur du mois passe: le séjour de mes parents en Russie.

Rubrique 11: Pavel et Magdalenskaia chez les Soviets
Y a-t-il quelque chose de plus comique que de voir les auteurs de ses jours, anciens porte-étendard de l'autorité parentale, plisser les yeux et déchiffrer avec peine le mot "sortie" pour réussir à sortir du métro? Pendant trois semaines, je suis devenu le guide touristique, traducteur, gentil organisateur, porte-parole et accompagnateur de la délégation parentale. Mon aide était absolument essentielle, et c'est facilement compréhensible: la Russie est russe et rien d'autre, alors gare à ceux qui ne parlent pas la langue! Ça parait évident, dit comme ça, mais il existe beaucoup de pays dans le monde où il est facile de se débrouiller sans savoir la langue locale, soit parce que les infrastructures touristiques sont très développées, soit parce que les gens ont globalement une bonne connaissance de l'anglais. On peut par exemple voyager en Grèce, en Turquie, en République Tchèque sans avoir à se taper la méthode Assimil au complet. Or, voyager en Russie, c'est un peu comme ce que je m'imagine d'un voyage en Chine. Imaginez-vous seulement: vous êtes dans une gare, vous voulez acheter des billets, mais ABSOLUMENT TOUT est en russe, en beau gros cyrillique, et personne ne parle autre chose que le russe. Bonne chance. De fait, en Russie, seule l'infrastructure touristique de luxe est développée, ce qui signifie que l'on ne trouve un service en anglais qu'à condition de fréquenter les trappes a touristes et donc d'être prêt à mettre le gros prix. Avis donc à ceux qui veulent voyager en Russie: à moins de profiter d'un contact qui parle russe ou de soi-même parler russe, il faut s'attendre à payer cher, très cher. Bien sur, il est physiquement possible de se présenter dans un restaurant ou un hôtel pas cher, là où on ne parle que russe et de tenter de commander quelque chose de précis ou de réserver une chambre par le seul langage des signes, mais il s'agit là d'une aventure que je ne conseille qu'aux plus courageux. Ne nous étonnons donc pas si la grande majorité des touristes qui viennent en Russie le font via un voyage organisé. Mais bref, mes parents avaient la chance inouïe de posséder un fils parlant russe et ils ont donc pu faire un voyage à un prix raisonnable et, surtout, sortir des sentiers battus pour voir la vraie vie russe. Avant leur arrivée, j'appréhendais qu'ils soient vraiment trop dépendants de moi et que je doive les nourrir à la petite cuillère. Tout compte fait, ils étaient effectivement dépendants, mais je dois honnêtement reconnaître qu'ils se débrouillaient pas mal bien.
Ils sont restés quatre jours à Saint-Pétersbourg, puis sept a Moscou, puis encore neuf à Saint-Pétersbourg. Ils ont beaucoup apprécié leur voyage, même s'ils disaient regretter de n'avoir pas pu échanger un mot avec les Russes eux-mêmes.

Rubrique 12: Moscou
Évidemment, je ne pouvais pas envoyer mes parents à Moscou sans moi. D'abord, parce que je ne pouvais pas rater l'occasion d'un voyage tous frais payés, ensuite parce que sans moi, mes parents ne seraient jamais allés plus loin que la gare. Et alors, se pose l'éternelle question, celle qui revient dans la bouche de tout Russe: "Et toi, disent-ils d'un air faussement indifférent, quelle ville tu préfères, Moscou ou Pétersbourg?". Il faut savoir que la relation qui lie les deux villes ressemble, en dix fois pire, à celle entre Montréal et Québec: un mélange de concurrence haineuse et de jalousie réciproque. Je ne me lancerai pas trop profondément dans le sujet, qui est insondable et qui résume en lui-même une importante part de la dualité de la Russie, mais j'en ferai un bref portrait.
Moscou et Saint-Pète ont beau être dans le même pays, ce sont deux villes opposées, qui chacune constitue le symbole d'un aspect de l'esprit russe (j'évite sciemment d'utiliser l'expression "âme russe", qui est trop usée pour signifier quoique ce soit, comme l'expression "développement durable", soit dit en passant). Moscou est une ÉNORME ville, tentaculaire à souhait. Elle compte officiellement 9 millions d'habitants, mais c'est sans compter les immigrants illégaux, qui sont des millions. C'est une ville moderne, ou des édifices en verres ultra-modernes côtoient les tours-bunkers soviétiques et les églises médiévales aux coupoles flamboyantes. Mais c'est surtout une ville russe, au sens culturel du terme. L'architecture est russe, de cette beauté tarabiscotée et raffinée qui est pour nous si exotique. Dans cette ville bat le coeur de la vie politique russe, dans cette ville se sont déroulés les événements fondateurs de la nation russe et, surtout, l'anarchie avec laquelle la ville est bâtie et qui l'anime aujourd'hui encore, est typiquement russe. Bien sur, toute la Russie est russe, mais on sent que Moscou est russe dans le sens "lié à toutes les traditions, à l'histoire et ce qui a fait des Russes ce qu'ils sont aujourd'hui". Cet aspect se rapproche au courant philosophique, littéraire et politique des slavophiles, proches des traditions et de l'Église orthodoxe, qui refusent de se laisser influencer par l'Occident. Saint-Pétersbourg, de son côté, est la ville-symbole des occidentalistes. Ces derniers, qui sont tout aussi russes que les Slavophiles, mais qui leur sont complètement opposés, cherchent, comme leur nom l'indique, à orienter la Russie vers la voie de la "modernité" en suivant l'exemple de l'Occident. Le premier grand et peut être le plus connu des Occidentalistes est le Tsar Pierre Premier (que l'on appelle chez nous Pierre le Grand), qui fit bâtir Saint-Pétersbourg sur un marais à l'image des capitales européennes et particulièrement d'Amsterdam (pour les canaux). D'un point de vue urbanistique, l'ordre cartésien de cette ville contraste de façon drastique avec l'anarchie de Moscou. Mais le plus impressionnant est bien sûr l'architecture de cette ville de palais, bâtis par des Italiens sur des modèles Italiens, Français et Hollandais. Afin de marquer clairement la nouvelle ouverture de la Russie a l'Occident, Pierre (appelons-le par son petit nom, après tout, nous avons mangé 16 kilos de sel ensemble, comme disent les Russes), qui haïssait Moscou, fit de Saint-Pétersbourg sa capitale. Et elle le resta jusqu'à ce que les communistes, nettement plus slavophiles qu'occidentalistes, rapatrient la capitale à Moscou. Puis le gouvernement soviétique se désintéressa complètement de Saint-Pétersbourg et la ville fut épargnée des montagnes de bétons staliniennes. La ville subsiste donc encore aujourd'hui avec le visage qu'elle avait au dix-neuvième siècle. Ce qui était un rêve de modernité est devenu un trésor du passé.

Rubrique 12: le meilleur courriel jamais reçu
J'aimerais maintenant partager avec vous un moment assez court mais ô combien marquant de mon existence. Un beau jour, vers la fin décembre, je m'installe au café Internet pour lire mon courrier et vérifier, comme dit mon ami Isaac, si quelqu'un m'aime, et je découvre dans ma boite de réception un message. Mais quel message! Il allait comme suit (attention, ça cogne!):


"Moi, je m'occupe de la salade de pâtes et poulet!"

Fin du message.

J'ai été tout simplement bouleversé par tant de force poétique. Je n'aurais pas cru qu'on pouvait résumer tant de réalités fondamentales de l'existence en une seule phrase. Je me sens privilégié, ce n'est pas tout le monde qui peut se vanter de recevoir de tels messages jusqu'en Russie.

Merci Chloé.


Rubrique 13: Le doublage
Je me suis aperçu en parlant avec Danaïl (c'était au début décembre, le temps file), que je n'avais toujours pas parlé dans mes rubriques du phénomène on ne peut plus intéressant du doublage des films en Russie. De façon générale, on peut résumer cela par la célèbre sentence confucéenne: "ça vaut pas de la chnoute". Mais mon professionnalisme inné m’intime l’ordre d'entrer dans les détails. Donc, voici:
Le doublage en Russie répond a des critères de qualité extrêmement variables, selon le contexte. J'ai moi-même divise ces différentes qualités en trois catégories.
--------1-Première catégorie, la plus mauvaise. Lorsque l'on achète dans la rue un DVD qui est de toute évidence piraté, comme par exemple un DVD avec dix films de Tim Burton, on doit s'attendre au pire. Et le pire, c'est ça:
-en arrière fond, on entend la voix originale en anglais et plus fort, par-dessus, la voix russe
-un seul acteur fait les voix de tous les personnages, qu'ils soient des petites filles ou un gros méchant. Mélangeant à souhait.
-l'acteur qui fait le doublage ne manifeste pas plus d'émotion qu'une boîte de petits pois. Peu importe si on entend la voix en anglais pleurer ou rire, la voix russe a toujours le ton monotone d'un ours endormi.
-quand les personnages chantent, la voix russe débite les paroles d'un air monotone, en parlant. À ce sujet, je regrette que vous ne soyez pas là en personne pour que je vous fasse mon imitation personnelle de la version russe et parlée de Singing in the Rain. Mémorable.
---------2-Deuxième catégorie. Quand on achète un DVD dans un magasin, ou quand on regarde un film a la télé, on peut s'attendre a un peu plus de qualité. On est donc en droit de croire que:
-il y a maintenant deux acteurs russes, un homme et une femmes, qui se séparent tous les personnages du film. Légèrement moins traumatisant.
-les doubleurs sont sûrement des acteurs et ils savent manifester des émotions. On distingue la joie, la colère et même la tristesse.
-quand les voix originales chantent, il n'y a pas de doublage. Oui, je vous assure que c'est un progrès!
-mais les voix originales anglaises sont toujours là.
-----------3-Troisième catégorie. Il m'est arrivé de voir des films à la télé parfaitement doubles. Bon, je n'ai pas besoin de vous faire un dessin, c'est comme chez nous. Un acteur pour chaque personnage et pas de voix en arrière.
Si cette échelle de qualité s'applique de façon générale à la réalité, il y a des cas d'exception où on ne trouve pas la qualité à laquelle on s'attendrait. Par exemple, je suis un jour allé voir Orange Mécanique en russe dans un cinéma de répertoire. Et bien, il s'est avéré que le cinéma passait une copie piratée, d'une qualité digne d'un film acheté dans sur la rue.
Autre anecdote. Une amie m'a raconte qu'alors qu'elle écoutait un film qu'elle avait acheté dans la rue, elle a eu la surprise d'entendre les voix russes dire, au milieu du film: "Allons boire un thé! Ah, d'accord!" Puis un silence de vingt minutes pendant que les personnages continuent à parler silencieusement a l'écran. Puis, retour des doubleurs qui poursuivent le doublage la ou le film était rendu. Eh bien.
Mais pour conclure, disons que le meilleur truc pour ne pas souffrir du mauvais doublage en Russie, c'est d'acheter des films russes.

Rubrique 14: le cadeau surprise
Comme promis, voici le bonus pour compenser l'absence de parution de Guillaume chez les Soviets en décembre. C'est d'une certaine façon votre cadeau de Noël. Il s'agit de la traduction de la célébrissime chanson du Blé d'inde (pardon, Ma Chérie) de François Pérusse, en russe.

Maia Daragaia (c'est le titre)

Da, da, da, da, moi druzia
Kukuruza rostiot v poliakh
Kukuruza zastiat mejdu zubami
Kukuruza, na etom mojmo polojit maslo
Kukuruza la la la la la la
Kukuruza v konservnakh, eto sdelano kukuruzoi
Kukuruza v kreme, etot krem i kukuruza
Nekotorye ediat kukuruzu priamo
I drugye kucaiut yiyo slevo i sprava
Kukuruza kogda snimaech kojuru etovo, ty polutchich kojuru s mnogimi volosami
I esli naidioch volos na tvoem kukuruze, nikomu ne govori esli ty ne khotchech ...
Kukuruza! Kukuruza! Kukuruza! Kukuruza! Kukuruza!
Odna kukuruza, kak dve kukuruzi, mojno est kak odnu kukuruzu
Tri kukuruzi eto odna kukuruza bolche tchem dve kukuruzi, daragaia!
Kukuruza daragaia!



Ah, et j'ai joint un paquet de photos, comme la dernière fois.


J'espère que vous profitez de mon absence pour aller tous bien. Je le souhaite, du moins. Si vous voulez me transmettre quelque chose (de l'argent, par exemple), il vous reste quelques jours pour le donner à Geneviève qui vient me rejoindre le 27 janvier. (Si vous voulez me faire parvenir de la drogue, le mieux est de ne pas le dire explicitement a Geneviève, elle risquerait de refuser).
Bien sur, vous êtes toujours invités à me donner de vos nouvelles ou à me mettre au courant des nouvelles brûlantes de chez nous. Je n'ai malheureusement pas toujours le temps de répondre individuellement aux messages que je reçois (d'ou l'idée de la chronique que vous lisez en ce moment), mais dites-vous que ça ne m'empêche pas de sincèrement apprécier tous les messages qui me parviennent ainsi, qu'ils soient des réactions à mes propres messages, des questions, ou simplement une tranche de vie.


Allez en paix, la messe est dite!



Celui qui reste, malgré les métamorphoses,
Guillaume
25 janvier 2007

P.S. Merci pour l'appel, chers membres du Trio de la Musaraigne constipée, c'était vraiment bien d'avoir pensé à moi et j'ai vraiment hâte de participer de nouveau et en personne à nos très sérieuses réunions. Le monde a un urgent besoin de notre sagesse.
P.P.S. En parlant de musaraigne, j'en ai vu une vraie (empaillée) au musée zoologique de Saint-Pète. Je croyais que c'était gros comme une marmotte, mais en fait c'est plus petit que mon pouce! Comme quoi c'est allant a l'étranger qu'on se connaît mieux soit même.

jeudi 1 janvier 2009

Guillaume chez les Soviets, tome 5


Priviet,

Est-ce possible? Déjà le tome 5? C'est avec une difficulté infinie que je parviens à me convaincre qu'il y a déjà six mois que, quittant le foyer qui m'avait vu naître, je cachais la clef sous le paillasson tout en me demandant si j'avais vraiment fermé le rond de la cuisinière. "Vremia letit"*, comme on dit. Pour vous, cependant, c'est une bonne nouvelle, car il ne vous reste qu'à patienter encore 15 tomes avant de recevoir le cadeau des lecteurs fidèles: LA SUPERBE RELIURE DE LUXE POUR COLLECTIONNEUR, dans laquelle vous pourrez conserver tous vos tomes de Guillaume chez les Soviets, à l'abri du temps, des souris, de la moisissure, des ventes de garages et autres éléments déchaînés.

Rubrique 15: Moi dien rojdenia**
La perspective du temps qui passe m'a d'autant plus frappé que, dans la nuit du premier mars, j'ai inopinément vieilli d'un an. Je m'en suis bien sûr aperçu assez rapidement, quand j'ai constaté dans le miroir que j'avais soudainement l'air bien plus mature, sérieux et expérimenté de la vie que la veille. Bref, j'avais la tête d'un gars de 22 ans. Au comble de l'allégresse, et oubliant presque la retenue qui convient à un monsieur d'un âge respectable comme le mien, j'ai invité tous mes amis dans ma chambre le soir-même, tout en suggérant humblement à mon sossed*** de passer la soirée en un quelconque autre endroit. Malheureusement, j'avais compté sans la taille de la dite chambre, qui se compare désavantageusement avec un de à coudre. L'étroitesse des lieux n'empêcha tout de même pas les réjouissances et nous réussîmes à 16 à tenir dans la même pièce, en utilisant la technique bien connue des strates, qui a si bien réussi aux dinosaures.

Je veux en passant remercier sincèrement les gens qui m'ont écris un message de bonne fête, je suis touché par l'attention.

Rubrique 16: Plans d'avenir
Plusieurs des correspondants de cette chronique à l'étranger me questionnaient sur mes plans d'avenirs en général et sur ma date de retour en particulier. Je suis flatté qu'on s'inquiète de mon retour, même si je commence à soupçonner que certains s'impatientent simplement de se voir rembourser l'argent que je leur avais emprunte. J'ai donc prévu pour vous un plan facile à consulter et qui tient en 10 étapes:
Étape 1- Vers la fin mars, je pars en Finlande faire faire mon nouveau visa russe (un visa pour voyager et non un visa pour étudier comme mon visa actuel).
Étape 2- Deux ou trois jours plus tard, je rejoins à Tallin des amis avec lesquels je visite les trois capitales des pays baltes (que je ne vous ferez pas l'insulte de nommer, certain que vous les connaissez par coeur)
Étape 3- Au début avril, retour à Saint-Pète
Étape 4- Le temps de s'enregistrer et je pars visiter le Zolotoe Koltso****
Étape 5- Un temps indéterminé plus tard, j'embarque dans le transsibérien et je vogue jusqu'a Irkoustk.
Étape 6- Vers la mi-mai: retour à Saint-Pete
Étape 7- Vers la fin mai: retour au Québec. Tempête de confettis.
Étape 8- Dans les années qui suivent: accomplissements d'actes héroïques et/ou géniaux
Étape 9- Un peu plus tard: réception du prix Nobel (dans un domaine à déterminer)
Étape 10- Encore un peu plus tard: funérailles nationales
Remarque: la direction se réserve le droit de modifier les événements inscrits au programme et cela, sans préavis ni remboursement.

Rubrique 17: Affiches bizarres
Je veux partager avec vous mon étonnement devant le phénomène troublant des AFFICHES ANONYMES ET ETRANGES! (ici, musique à l'orgue) Voila le fait: on voit souvent en Russie, mais particulièrement à Moscou, dans la rue et dans le métro de grandes affiches, de format publicitaire standard, mais qui se différencient des pubs normales par le fait qu'elle ne sont pas signées (ce qui, à ma connaissance, est illégal chez nous) et qu'elles portent des messages à forte connotation morale. Je présume que vous ne voyez pas très clairement encore de quoi il retourne. Alors imaginez que vous vous tenez tranquillement dans les escaliers mécaniques du métro de Moscou et vous regardez d'un air distrait les panneaux publicitaires qui défilent sur le mur au rythme de votre descente, quand votre regard s'arrête, entre une pub de soutien-gorge et une super liquidation de chaussures, sur le message suivant en toutes lettres: DONNEZ DES FLEURS AUX FEMMES. Et rien d'autre. Pas de signature du genre "Fédération panrusse des fleuristes" ou "Igor Strasdfldfjslsski, cadeaux en tous genres pour femmes en tous genres". Non, rien. Juste le message et même pas de visage de femme contente-contente. Et on se demande: "Mais qui diable paye pour écrire de tels messages dans le métro?". Et je n'ai toujours pas trouvé de réponse à cette question. Mais ce n'est qu'un exemple, car j'ai aussi vu:
-L'AMOUR DE LA PATRIE COMMENCE AVEC LA FAMILLE (selon moi, brillante
utilisation du patriotisme comme aphrodisiaque)
-SOURIRE, UNE FACON PAS CHÈRE DE MIEUX PARAITRE (particulièrement drôle quand on sait comment les Russes ont le sourire facile)
-LA NATURE NE CONNAIT PAS DE MAUVAISES SAISONS (sous-entendu, arrêtez de chialer contre la météo)
Et d’autres qui échappent à ma mémoire.

Rubrique 18: Élections et propagande
J'ai parfaitement conscience que j'abuse de votre temps avec mes longues lettres, alors que votre esprit est déjà tout entier occupé à soupeser les programmes et les qualités respectives des formidables partis politiques qui s'entre-déchirent en ce moment au Québec (vous voyez, je sais tout). Or, cette présente rubrique se propose d'enrichir votre horizon idéologique et vous distraire quelques secondes de Mario Dumont par un exposé bref, mais constructif, des élections qui ont eu lieu en Russie au début mars. Par cet exercice, vous aurez tout le loisir de comparer ces deux systèmes et de tirer les conclusions que vous voudrez. Cependant, comme je n'ai pas pris l'habitude ni de lire le journal, ni de regarder les nouvelles, je suis absolument à des milles de prétendre être au courant de quoi que ce soit. Ce qui ne m'empêche pas de vous faire part de quelques unes de mes observations.
Mise en contexte, pour ceux qui ne savent pas du tout ce qui se passe en Russie et qui pensent que le "Président Poutine" est un restaurant de haute gastronomie sur Sainte-Catherine Est, à cote du "Roi du Matelas": la Russie est un grand pays situé assez loin à l'Est (ou à l'Ouest, selon le point de vue) de chez nous. Bon, maintenant que vous savez tout, voici mes observations.
-Observation 1: Ici règne la politique du "EN PRINCIPE c'est comme ça, mais tout le monde sait parfaitement bien que ce n'est pas comme ça". Par exemple, Poutine est EN PRINCIPE un président sans parti. Il est neutre et objectif. Comme chef de l’exécutif, il n'est membre d'aucun des partis qui se battent à la Douma (sorte de Chambre des communes, qui doit approuver les décisions du président). Or, tout le monde sait que Poutine a pour ainsi dire fondé le Parti Edinaia Rossia (Russie Unie), qui, ô hasard, approuve à la Douma toutes les décisions du président. Alors, quelle ne fut pas ma surprise de voir sur des affiches d'Edinaia Rossia, que ce parti se vantait d'être soutenu par le président. Je disais alors à une amie russe: "C'est complètement stupide! Évidemment que Poutine soutient ce parti, c'est lui qu'il l'a fondé!" Et elle de me répondre: "C'est qu'EN PRINCIPE il n'appartient à aucun parti..." De la même façon, la gouverneur de Saint-Pétersbourg est un candidat indépendant, ce qui ne l'empêche pas de serrer la main du chef d'Edinaia Rossia sur toutes les affiches électorales...
-Observation 2: Poutine est tellement populaire en Russie, que les partis importants fondent leur programme non sur la critique du gouvernement en place, mais en tentant de convaincre les électeurs qu'ils sont les plus proches des positions du président. Ce qui donne la situation absurde que les principaux partis, même s'ils recherchent le pouvoir, ne s'attaquent pas à celui en place. Ceci à l'exception des partis "d'opposition". Mais voilà, "l'opposition" est marginale en Russie: communistes et libéraux ne reçoivent que des fractions de pourcentages. Le devant de la scène est toujours occupé par les partis pro-Poutine (ils sont trois ou quatre). Et de la même façon que dans l'observation précédente, ils appuient tous Poutine, même si EN PRINCIPE ils constituent aussi l'opposition.
-Observation 3: Julie me demandait s'il y a de la propagande politique en Russie. Si l'on compare la situation actuelle à celle qui prévalait en Union soviétique, je dirais qu'il n'y a pas de propagande, ou alors elle a beaucoup gagné en subtilité. Ainsi, on ne dresse pas de monumentales statues de Poutine comme on l'a fait dans le passé pour Lénine (et, soit dit en passant, la plupart de ces statues sont toujours debout), mais le pouvoir contrôle presque tous les médias. Bien sur, il reste toujours des journaux indépendants mais, comme au Québec, ils ne sont pas lus. Et il reste un poste de radio contestataire. Mais le pouvoir s’en brosse le nombril avec le pinceau de l'indifférence (copyright Achille Talon), car il contrôle le seul média influent dans notre merveilleuse société: la télévision. Depuis la fermeture et la conversion de force du dernier canal d'opposition, NTV, il y a quelques années, toute la télé est à la botte du pouvoir. Tous les bulletins de nouvelles diffusent la même information, filtrée. En période électorale, la couverture médiatique d'Edinaia Rossia (le premier parti pro-Poutine) est infiniment supérieure à celle de tous les autres partis réunis. De la même façon, les bulletins de télévision n'ont presque pas couvert la manifestation des "Pas d’accord" qui a eu lieu à Saint-Pete au début mars, ou toutes les maigres forces d'opposition se sont réunies pour crier leur désaccord. À la limite, on ne voyait à la télé que la réaction de la Gouverneur de la ville, qui criait que c'étaient tous des chialeurs.
Observation 4: C'est vraiment un détail, mais on peut voir en période électorale de nombreuse pancarte qui ne portent que le slogan suivant: Edinaia Rossia est le numéro 1 sur votre bulletin de vote, ou LDPR est le numéro 5 sur votre bulletin de vote. Un peu comme si les partis présumaient que les gens étaient analphabètes et leur prenait la main pour le dire: ne lisez pas votre bulletin de vote, cochez le numéro 5 et tout ira bien. J'en ai parle à une de mes profs et elle m'a dit que les partis faisaient ça depuis qu'on avait prouvé que de nombreux électeurs s'étaient trompés de case, parce que les noms des candidats se ressemblaient trop. Eh bien.
Ah, et en conclusion, Edinaia Rossia a finalement écrasé tous ses opposants lors des élections, remportant la majorité dans toutes le régions de Russie sauf une (un trou à la frontière de l'Ukraine) et le taux de participation a atteint le score stratosphérique 40% (32% à Saint-Pétersbourg).

Rubrique 19: interrupteurs de toilette
Je tenais simplement dans cette rubrique à vous informer d'un fait qui m'étonne et me perturbe: en Russie, que ce soit au restaurant, à la résidence ou chez les Russes, l'interrupteur commandant la lumière dans la toilette est toujours situé à l'extérieur de la dite-piece. Et, aussi étonnamment, je n'ai encore vu personne faire la farce facile de fermer la lumière lorsque quelqu'un est enfermé aux toilettes et n'est absolument pas en position pour sortir rapidement et attraper le coquin. Sans doute les Russes ont déjà eu le temps de se lasser de ce coup. Quant aux étrangers comme moi, ils en sont quittes pour chercher pendant cinq minutes l'interrupteur dans tous les recoins de la salle de bain. Je vous prie de me faire part de vos hypothèses, quant à la raison fondamentale de cette étrange situation.

Et bien voilа, comme dirait Charles Tisseyre, c’est déjà tout, merci d’avoir été des nôtres, au revoir et à la semaine prochaine.

J’ai joint quelques photos bardées de copyright.
Et j’attends de vos nouvelles et de vos commentaires.

Poka

Guillaume
26 mars 2007

*le temps vole ("vole", dans le sens "passe très vite" et non "porte atteinte à la propriété d'autrui sans le consentement de la personne concernée". Un peu de clarté, que diable!)
**Mon anniversaire.
***Voisin coloc
****Anneau d'or, région historique dans les environs de Moscou


P.S. Désole pour la mise en page étrange, c'est la faute à l'ordi. D'ailleurs il a bien de la chance d'appartenir à une amie, car si ce n'était que de moi, il aurait déjà traversé la fenêtre.

Guillaume chez les Soviets, tome 6

C'est pratique pour espionner les voisins
Priviet!

Pour ceux qui n'ont pas encore bloqué mon adresse dans leurs boîte de messagerie, exaspérés de recevoir des lettres plus longues que les petits clauses d'une police d'assurance, voici le sixième (et fort probablement dernier) tome de Guillaume chez les Soviets, la saga nordique qui ajoute du russe dans votre vie!

Petit résumé des nouvelles. J'ai terminé comme prévu mes études à la fin mars, ce qui signifie que j'ai simplement arrêté de payer les cours. Je suis ensuite allé en Finlande, où je me suis fait faire un nouveau visa russe, puis j'ai visité en une semaine les capitales des pays baltes avec des amis. Au terme de ce voyage, j'étais salement enrhumé (conséquence de la baignade dans la Baltique? on ne le saura jamais), crevé comme un chien et je fus pris pour la première fois d'une forte envie de retourner chez moi. J'y vois la conséquence logique de la conclusion d'un voyage. Mais, plutôt que de retrouver le foyer familial, je suis retourné a Saint-Pète, le temps d'accomplir quelques démarches administratives, puis j'ai entamé mon voyage en solitaire a travers la Russie. Je dois admettre que j'étais alors dans une assez mauvaise disposition pour l'aventure, mais j'avais trop longtemps rêvé de ce voyage pour abandonner au dernier moment. Les premiers jours ont été un peu grisous. La solitude, ainsi que la nature, grise d'arbres nus et brune de bouette, me minaient le moral. Puis tout s'est arrangé. Je me suis fait a la solitude (et j'ai profité de son grand avantage: liberté totale) et le printemps a finit par fleurir. Étonnamment, j'ai vu mes premiers champs verts et mes premiers bouleaux AVEC FEUILLES en arrivant en Sibérie. Et comme il faisait aussi nettement plus chaud, la Sibérie reste pour moi associée au beau temps, aux parcs remplis de jeunes qui flânent et a la crème glacée. Pas tout a fait l'idée que j'en avais (plutôt goulag par -40 degrés). Mes pérégrinations à travers la Russie ont été riches en péripéties de toutes sortes, mais je ne vous en ferai pas le récit complet ici, car il faut bien que je me laisse quelque chose a raconter en revenant, si je veux être intéressant, le temps d'une soirée. En voici donc seulement deux, qui viennent tout juste de m'advenir.

Rubrique 20: Espionnage a Krasnoïarsk
Krasnoïarsk

Pour financer ma consommation gargantuesque de shawerma et de sandwichs au thon, j'avais résolu de me lancer dans les joies de l'espionnage industriel. Mon objectif, l'immense barrage électrique de Divnogorsk, relativement proche de Krasnoïarsk (relativement dans le sens ou les deux villes se trouvent dans le même carré sur la carte). J'avais initialement prévu de m'y rendre en hydroglisseur, mais les autorités locales firent tout pour m'en empêcher. Tout d'abord, ils cachèrent la billetterie derrière un buisson, derrière la gare fluviale, en dessous de l'escalier.
La gare fluviale

En interrogeant toute la population dans un rayon de cent mètres, je finis par trouver l'endroit, mais la caissière devina a mon regard fuyant, a ma fausse barbe et, de manière générale, a ma gueule de terroriste que j'étais un espion et me jeta au nez que l'hydroglisseur n'entrait en fonction qu'à la fin mai. Passablement déçu, je ne renonçai pas pour autant et, dès le lendemain, je me dirigeai vers la gare routière. De là, je sautai dans un minibus qui, a une vitesse franchement excessive, me conduisit a Divnogorsk, ou je pris le taxi jusqu'au barrage. Note culturelle: prendre le taxi en Russie signifie, plus souvent qu'autrement, arrêter n'importe quelle voiture sur le bord de la route et négocier le prix de la course. En a peine 30 minutes, je me retrouvai le nez enfoncé dans les buissons garnissant les rives du puissant Ienissei (immense fleuve, probablement tracé en bleu sur votre carte), en train de noter dans le plus menu détail le fonctionnement complexe du barrage électrique. Comme au bout de deux minutes, j'étais déjà lassé de photographier le barrage, je me suis mis a courir derrière les oiseaux avec mon appareil, sans grand succès. Il faut dire que j'avais la discrétion d'un hippopotame hystérique et, pour être franc, je me serais moi-même envolé si je m'étais vu arriver (notez le changement de perspective). J'ai quand même réussi a prendre quelques photos pas mal ou, en zoomant dix fois, on peut, en regardant trois pixels colorés avec beaucoup d'imagination, reconnaître un oiseau. Je n'étais sur place que depuis dix minutes, mais j'avais déjà l'impression que j'avais fait le tour du sujet. En effet, de méchantes grilles m'interdisaient pour une raison obscure de grimper sur le barrage ou de faire joujou dans les accumulateurs électriques. Pour rentabiliser les efforts déployés pour se rendre sur place, je décidai tout de même de faire une petite marche dans les alentours. Cette promenade hygiénique me donna l'occasion d'admirer les berges forestières de l'Enissei, son eau limpide, ses plages de gros cailloux rouges pointus et le zèle des gardiens de sécurité. En effet, en aval du barrage, je parvins assez rapidement a un pont, qui n'avait absolument rien de particulier, sinon qu'il était surveillé par un gardien. Probablement de peur que le pont ne fasse une fugue, raisonnais-je. Tout autour, quelques touristes (russes, bien sur) se photographiaient. Comme je n'avais personne à photographier, je résolu de prendre une photo géniale de la pancarte "fleuve Ienissei" avec en arrière plan les montagnes, le tout à partir du pont. Génial, vous dis-je. Alors que je m'exécutais, je fus apostrophé par le gardien du pont. Nous eûmes à peu près cet entretien:
-Eh toi! C'est interdit de photographier du pont!
-Comment ça, interdit? Mais tout le monde photographie, regardez là et là! dis-je en pointant les touristes.
-Tu peux photographier, tu peux même photographier le pont, mais pas À PARTIR du pont.
Devant mon air quelque peu perplexe, il m'expliqua:
-Tu comprends, c'est une mesure de sécurité. Ce pont est un endroit stratégique. On ne sait pas ce que les gens peuvent faire. Des fois il y a des gens qui sont saouls. Peut-être que quelqu'un va vouloir sauter du pont. Tu comprends?
Comme je ne répondais pas, figé par le génie de son raisonnement (lieu stratégique = danger de tomber dans l'eau = interdit de photographier), il ajouta d'un air significatif:
-Et l'eau est froide, tu comprends?
-C'est quand même drôle, dis-je, je n'ai pas le droit de photographier du pont, mais je peux photographier le pont?
-Tu comprends, je dois être juste. Si je ne permets pas a toi, je dois l'interdire à tout le monde. Alors je ne te le permets pas. J'ai raison, non?
Encore une fois un peu stupéfié, je me tus et je fis simplement un pas pour me retrouver a l'extérieur du pont, d'ou je pris ma photo.
LA photo

Quand je vous dis qu'il y a de gros cailloux rouges

Pour conclure, je tiens a préciser que ce dialogue était réellement aussi absurde que je l'ai décrit et ne résulte pas d'une incompréhension au niveau de la langue. J'ai très bien compris que je n'ai rien compris.

Rubrique 21: La parade
Le 9 mai est un jour tout aussi anonyme chez nous que le 27 novembre ou le 12 septembre, mais il s'agit en Russie d'une des fêtes les plus importantes de l'année, Den' Pobedy (Le jour de la victoire). La victoire dont il est question est bien entendu celle qui marqua la fin de la Grande guerre patriotique (ainsi est appelée la Seconde guerre mondiale en Russie), en 1945. Pour comprendre l'importance de cette fête, il faut savoir que le souvenir de cette guerre est plus vif ici que partout ailleurs dans le monde (sauf peut-être en Allemagne, mais d'un autre point de vue). Tout d'abord, la Russie est le pays qui a le plus souffert de la guerre, avec 20 millions de morts (les Américains, par comparaison, en ont perdu à peu près 300 000). Et ce n'est pas qu'un chiffre. Presque tous les Russes comptent dans leur famille des parents morts a la guerre. Ensuite, contrairement a nous et aux Américains, les Russes ont connu l'invasion de leur propre pays, ils ne se sont jamais rendus malgré les nombreuses défaites catastrophiques et ils ont tout sacrifié pour chasser l'envahisseur. Après la guerre, le pouvoir soviétique, à force de propagande, a transformé cette victoire glorieuse en véritable culte national (du moins, c'est mon avis de pacifiste). Et, chaque année, l'arrivée du printemps est saluée dans toutes les villes de Russie par des milliers de banderoles rouges aux fiers slogans, où subsistent très souvent le marteau et la faucille. D'ailleurs, toute la semaine avant la fête, a la télé ne passent que des émissions souvenirs et des films de guerre. Comme à Pâques chez nous avec les 35 inévitables remakes de la vie de Jésus, Ben Hur et les Dix commandements.
Et aujourd'hui, le 9 mai, je suis a Irkoutsk. Je suis bien content d'être dans une grosse ville, car j'aurais été déçu d'assister a des célébrations minables dans un trou perdu. Le matin, avant même de partir pour la fête, je prends quelques précautions. Je laisse mon sac a dos dans la chambre et je choisis plutôt de transporter mes choses dans un vulgaire sac de plastique, qui m'identifie moins comme étranger. Puis, je me compose un visage indifférent et blasé, pour avoir l'air plus russe. Je ne suis pas paranoïaque. J'ai l'habitude, par prudence, de ne pas me faire remarquer, mais on m'a dit et répété que c'était particulièrement important aujourd'hui. Ensuite, suivant religieusement les conseils de la préposé a l'hôtel, je me lève très tôt pour aller occuper une bonne place sur la place Kirov. Il fait 9 degrés et un brouillard épais comme une soupe aux pois écrase la ville. En chemin, je remarque une quantité inhabituelle de militaires (ce qui fait beaucoup, si on considère que, dans la vie de tous les jours, les militaires sont déjà infiniment plus visibles que chez nous). Une fois casé dans un coin avec une bonne vue, je me mets a attendre. Deux heures passent ainsi et, dans ce laps de temps, j'ai le temps de me faire complètement écraser contre la clôture par la foule qui s'accumule derrière moi. Il y a un monde fou et des enfants perchés sur toutes les branches des arbres environnants. Des vétérans bardés de médailles sont assis aux premières loges sur des chaises de patio. Et finalement, ça commence. Le début est très formel. Un général qui se promène debout dans sa jeep salue un a un tous les régiments aux garde-à-vous, qui répondent d'une seule voix "Hourra! Hourra! Hourra!" Puis il prononce un petit discours à faire couler une larme, la fanfare entame l'hymne national et les régiments se retirent en paradant, les bottes noires et les petits gants blancs valsant en harmonie parfaite.

Le tout a duré une demi-heure et j'ai eu le temps de finir deux jeux de piles de mon appareil photo, que j'avais bien sûr omis de recharger. Au moment ou je me demande si j'ai vraiment bien fait d'attendre deux heures au froid, une salve de mitraillette retentit et la seconde partie commence au son d'une musique heavy metal. Un char d'assaut et un camion arrivent en trombe sur la place et vomissent sur le pave une vingtaine de soldats habillés en Rambo. La seconde partie ressemble en fait a un numéro de cirque. Les soldats-rambos font tour a tour des démonstrations d'adresse, de force et d'endurance. Dans l'ordre: simulations de combat, pirouettes par-dessus des palissades en flamme, fracassage de briques enflammées avec le poing, cassage de bouteille sur la tête (!) et j'en passe.
On ne distingue pas très bien, mais l'homme est vraiment DANS le feu

Le groupe compte même son homme fort, qui s'avance bientôt au milieu de la place, retire sa chemise, puis se livre aux pires exercices d'endurance. Alors qu'il est couché sur le dos, on lui casse sur le ventre une pile de briques avec une masse, puis on lui casse des 2x4 sur les bras et les jambes. Notre héros rejoint ensuite les rangs, sans paraître souffrir le moindrement, si ce n'est du filet de sang qui lui coule le long du crâne. Finalement, la troupe se retire avec force tir de mitraillette dans les airs et la cérémonie s'achève ainsi. Aussitôt, des centaines d'enfants se jettent sur la place pour ramasser les cartouches. Quant a moi, je me promène parmi la foule et, par miracle, je réussi a économiser assez de pile pour photographier des petits enfants qui remettent spontanément des fleurs a des petits vieux souriants qui plient sous le poids de leurs médailles.

J'erre encore un peu et, un peu plus loin, j'aboutis près d'une petite chorale ou soldats et enfants chantent des chansons traditionnelles au son de l'accordéon. Ô merveille, ce sont toutes les chansons que j'écoutais quand j'étais encore au Québec! Et les enfants dansent, et les soldats chantent, et les vieux barbus tapent des mains en criant "hop, hop!" et les babas en costume traditionnelle chantent avec la note au-dessus et tout le monde sourit. J'adore la Russie.


L'envoi se fait finalement beaucoup plus tard que sa rédaction. En fait, j`ai eu le temps de refaire toute la Russie en sens inverse et même plus loin, puisque je suis maintenant dans la chambre de Geneviève a Clermont-Ferrand, métropole culturelle du monde libre. Comme j'ai maintenant un ordi a ma disposition, je peux joindre quelques photos. Pour des raisons stratégiques, la photo du barrage n'y figure pas, mais celle prise du pont, si.

Je suis de retour au Québec le 7 juin. J'ai vraiment hâte de revoir tous mes amis.
Portez-vous bien, que je vous retrouve en un seul morceau.

A bientôt,

Guillaume
21 mai 2007