samedi 3 janvier 2009

Guillaume chez les Soviets, tome 3

Priviet tovarichs!

Vous la croyiez éteinte, enfouie sous un déluge de neige et de glace puis négligemment piétinée par un mammouth, mais non: la trépidante saga nordique "Guillaume chez les Soviets" est de retour! Toujours plus trépidante, toujours plus nordique, toujours plus soviétique! Et porteuse d'une grande nouvelle : je suis encore en vie! Je me doute que vous commenciez à en douter. Je soupçonne aussi que vous ayez commencé à négocier entre vous la séparation de mes maigres possessions matérielles. Eh bien, je vous le dis tout raide, je suis encore en vie, plus en forme de que jamais (complètement faux, je n'ai pas fait de sport depuis la descente de l'avion. D'ailleurs, dans l'avion non plus.) et vous pouvez tout de suite oublier l'idée de me chiper ma pancarte "sens unique" qui trône dans ma chambre et qui fait l'envie de tous (surtout de mon père, qui veut s'en emparer pour la jeter aux poubelles). Dans à peine ^$^#$*^ mois, je reviendrai, plus grand, plus fort, avec la voix plus grave, moins souriant, bref plus russe, et je reprendrai ma vie la où je l'ai laissée, c'est à dire dans un état de toute première fraîcheur.

La plupart des gens qui m'ont répondu, et que je salue bien bas au passage en balayant le sol de ma chapka, m'ont reproché de peu révéler dans mes messages d'informations sur ma vie ici, comment je m'occupe, ce que je fais et tout cela. Eh bien, j'avoue ne pas avoir abordé le sujet parce que je considérais que ce n'était pas du plus grand intérêt, mais, après tout, ça pourrait être utile pour une biographie, plus tard...

Rubrique 6: La vie quotidienne
À part le commerce des métaux précieux et les liens étroits que j'entretiens avec la mafia concernant des histoires de prostitution, ma vie quotidienne s'avère assez routinière. Pendant la semaine, j'ai trois heures de cours de russe par jour (respectivement grammaire deux fois, littérature, journaux et conversation). J'occupe le temps qui me reste en faisant mes devoirs, ridiculement petits, en lisant en français (beaucoup) et en russe (de plus en plus), en sortant avec des amis étrangers comme moi ou en rencontrant un tandem. Un tandem, c'est l'appellation commune par laquelle on désigne une rencontre d'aide réciproque avec un russe. On parle la moitié du temps en français, l'autre en russe et tout le monde y trouve son compte. Quand mon ami Armin était encore là, nous faisions régulièrement des sorties culturelles: opéra, ciné, théâtre, musées, etc. Mais depuis le retour au bercail il y a un mois de ce Suisse (de 40 ans mon aîné, d'ailleurs), j'ai un peu ralenti le rythme. En fait, je pourrais qualifier rétrospectivement de passage à vide toute la première moitié du mois de novembre, où j'ai été victime du syndrome d'effacement de la volonté, et pendant lequel je me suis donc activement saisi le beigne à deux mains. Il faut dire qu'ici il faut trouver en soi-même la motivation de faire quoique ce soit, puisque rien ni personne ne te force, ni même t'encourage a travailler. Si ce n'était de ma réelle motivation à apprendre le russe, je pourrais vraiment faire de ce séjour une longue période de vacance et passer toute la journée a me bronzer le nombril sur les plages (enneigées) de la Neva. Me connaissant, je peux dire que c'est une bonne chose que je n'aie pas d'ordi dans ma chambre pour me distraire. Alors je lis, je regarde des films russes sur mon beau lecteur DVD tout neuf et réussi même a manquer de temps pour aller au café internet. J'avoue que mon enthousiasme n'est plus aussi délirant qu'à mon arrivée, mais l'euphorie pouvait-elle vraiment durer 9 mois?

Rubrique 7: le Kunstkamera
Je tiens a partager avec vous (mon psy m'a dit de ne pas garder ça pour moi, car le refoulement est mauvais pour mon équilibre mental) une des expériences les plus bouleversantes du dernier mois, soit ma visite au Kunstkamera. Derrière ce joli nom, que l'on donnerait volontiers à sa fille si l'on ne craignait qu'elle ne se fasse traiter de méchant robot de l'espace pendant toute son enfance, se cache un célèbre édifice de Saint-Pète. Construit sous Pierre le Grand, donc au 18e siècle (ma mémoire ne me permet pas d'être plus précis), il est devenu le premier musée de Russie. Premier dans le sens chronologique, car son volume ne peut en aucun cas se comparer à celui de l'Ermitage, bâti un siècle plus tard de l'autre côté de la Neva. Le Kunstkamera est aujourd'hui un musée d'ethnographie et d'anthropologie. On y trouve donc de jolies expositions sur les amérindiens de chez nous, ainsi que sur les cultures traditionnelles japonaises, chinoises et tout le tralala. Mais les Russes qui s'y rendent en masse passent tout droit devant les kayaks en fesses de castor et les maquettes de rizière en plastique pour aller directement au clou du musée, la collection scientifique personnelle de Pierre le Grand. Le monarque fantasque, qui s'intéressait à tout, de la menuiserie à la porcelaine en passant par l'élevage du mouton, acheta à un anatomologiste néerlandais une collection de spécimens anatomiques particuliers et curieux. De façon plus claire, disons qu'on peut "admirer" dans une salle spéciale de ce musée tout une collection de bocaux remplis de formol, dans lesquels baignent depuis trois siècles (attention, attachez votre tuque:) des foetus humains à deux têtes, des siamois mort-nés, des têtes de bébés morts tranchées en deux et dont on peut admirer l'intérieur, des bras arrachés de bébés morts, des testicules orphelines du reste du corps, des oreilles dans la même situation, des bébés rendus monstrueux par des hernies géantes, des bébés cyclopes et autres monstruosités de toutes les formes, mais toujours de la même couleur jaune malade. Malade, je me sentais le devenir moi-même en regardant ces horreurs. Moi qui me croyais insensible, j'étouffais des cris d'horreurs à chaque nouvelle vitrine, à chaque nouveau bocal. J'ai du sortir avant d'avoir tout vu, je me sentais réellement mal. Assis sur un banc à l'extérieur de la salle maudite, deux comparaisons me sont venues à l'esprit. La première, c'est que voir cet endroit, c'est comme vivre un film d'horreur, mais en vrai, avec de la vraie chair. La seconde, c'est la ressemblance troublante entre cette salle et ce que j'imagine des restes d'une garderie entière passée a la broyeuse. Mais ce qui m'a le plus étonné, c'est que j'ai vu une mère emmener sa fille de 9 ans regarder ces "choses". À son age, j'aurais fait des cauchemars pendant 5 ans. Quand j'ai exprimé ma surprise à ce sujet à une amie russe, elle m'a dit que c'est une sortie scolaire classique pour les écoliers. Qu'on ne surprenne plus si les Russes sont endurcis à la souffrance. Montrer ça à des enfants, mon Dieu! Quant à moi, je ne pourrai plus faire de blagues de bébés morts avant des mois.

Rubrique 9: le Québec vu de Russie
Pendant qu'on s'échine partout dans le monde à fixer sur papier la véritable nature de l'âme russe, peut-être vous êtes-vous déjà demandé ce que l'on pense du Québec à l'étranger, et plus particulièrement en Russie? Eh bien, j'ai mené une enquête approfondie à ce sujet auprès des Russes, ainsi qu'auprès des étudiants étrangers (qui représentent donc pour l'occasion leur pays respectifs). En Russie, la réponse est simple: en général, on n'en pense rien, car on ne sait pas ce que c'est. Le cour de géographie est trop loin et, si on se souvient d'avoir déjà entendu ce nom, il arrive qu'on le confonde avec le Koweït (histoire vécue) qui se dit de façon semblable en russe. Voilà pour la majorité de la population. Cependant, la perception est différente pour la minorité plus éduquée ou plus ouverte sur le monde, que je fréquente davantage, car elle comprend les professeurs de langue et les étudiants de langues étrangères, qui sont mes voisins de résidence et de classe. Pour eux, la vision du Québec ressemble à celle des autres étrangers, soit les Allemands, Autrichiens, Espagnols, Américains, Belges, Italiens et même Français. Pour eux, le Québec est une province du Canada dans laquelle le fait français est à la fois minoritaire et folklorique. Dans leur regard, qui est donc celui de l'européen moyen, les Québécois sont avant tout des anglophones qui possèdent, dit-on, un certain patrimoine français. A l'exception de quelques Français et Belges, qui étaient vaguement au courant de notre réalité, ils étaient tous estomaqués de découvrir que (en ordre croissant de surprise):
1-ma langue maternelle est le français AVANT l'anglais
2-l'anglais n'est pas maîtrisé par tous les Québécois
et surprise parmi les surprises:
3-il y a une importante fraction des Québécois qui ne parlent tout simplement pas anglais (si on ne considère pas baragouiner comme parler)
Dans leur vision du Québec, une province bilingue de culture anglophone agrémentée d'un léger folklore francophone, je reconnaissais surtout la Louisiane (encore que...).
La preuve reste-t-elle a faire que, malgré notre aisance matérielle, malgré la facilité à vivre en français que nous a apporté la Révolution Tranquille, malgré la tranquillité apparente de notre situation politique, nous somme un peuple qui n'existera jamais, tant qu'il ne sera pas reconnu? Et ce n'est pas le simple qualificatif de "nation", que peut-être recevrons-nous bientôt comme prix de consolation, qui nous fera soudainement exister comme un vrai peuple parmi les autres. Tant que nous ne nous affirmerons pas dans le monde comme un peuple digne d'un pays, nous resterons ce que nous sommes aujourd'hui dans le regard du monde: un sous-peuple, une communauté ethnique, une petite tranche de folklore.

Rubrique 7: Détails intéressants
Sur une note plus légère, cette rubrique rassemble quelques courtes observations sur des aspects minimes, mais curieux, de la vie en Russie.
- la coupe Longueuil: Je pensais m'être enfuis assez loin pour ne plus avoir a subir la vision de ce symbole chevelu du mauvais goût, mais le voilà qui me rattrape : la coupe Longueuil fait fureur en Russie. Ciel! Dans la rue, il n'est pas rare de croiser de jeunes hommes qui la portent avec une ostentation impossible à concevoir pour mon esprit montréalais. Le phénomène est en fait si courant qu'on peut même discerner plusieurs types. Il y d'abord la longue et large, dont les vagues balaient les épaules. Plus il y a la plus courte, qui s'arrête au cou. Et enfin la toute mince, constituée d'une couette solitaire qui s'étire, échevelée, sur une vingtaine de centimètres. Vous connaissez d'ailleurs probablement cette dernière sous le charmant dénominatif de "queue de rat". Le plus troublant, c'est qu'il semble qu'on puisse s'habituer même au plus insupportable. Ainsi, a force de la subir, la vision de la coupe Longueuil ne me perturbe plus et je peux même dire, quitte à perdre quelques amis, qu'elle m'a paru bien aller à certaines personnes. Je vous réserve une surprise a mon retour...
- les magasins de chaussure. J'ai fait l'observation suivante: un magasin sur trois à Pétersbourg est un magasin de chaussure. Comme les Russes, vérification faite, ont le même nombre de pieds que nous, je reste sans explication devant ce phénomène
- les gros-boutons-ronds-dont-je-ne-connais-pas-le-nom-exact-parce-que-je-ne-suis-pas-estheticienne. Si l'on se fit a l'échantillon composé des gens qui prennent l'autobus, les Russes ont, dans une proportion incroyablement supérieure à nous, de gros boutons ronds et volumineux (je veux dire en trois dimensions) au visage. Je vous laisse faire vous même vos propres hypothèses liées à Tchernobyl.
- les oeufs. Il y a dix oeufs dans une boîte d'oeufs.

Sur ces considérations philosophiques, je vous salue tous et souhaite que Saturne, sortant sur son 36 de la maison du verseau, vous soit favorable. Continuez à m'envoyer de vos nouvelles et des nouvelles de chez nous, ça me fait toujours plaisir d'en recevoir. Suite aux demandes répétées que j'ai reçues, j'ai décidé de joindre à ce document quelques photos, sélectionnées avec un soin maniaque dans les quelques 700 que j'ai prises jusqu'à aujourd'hui. Cependant, comme j'ai déjà eu plusieurs expériences malheureuses avec l'envoi de photos à partir de ce café internet, j'appréhende que vous ne puissiez les ouvrir. Si c'est le cas, avisez-moi en tout de suite et je punirai l'ordinateur fautif comme il le mérite.

Poka

Guillaume
25 novembre 2006

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