jeudi 1 janvier 2009

Guillaume chez les Soviets, tome 6

C'est pratique pour espionner les voisins
Priviet!

Pour ceux qui n'ont pas encore bloqué mon adresse dans leurs boîte de messagerie, exaspérés de recevoir des lettres plus longues que les petits clauses d'une police d'assurance, voici le sixième (et fort probablement dernier) tome de Guillaume chez les Soviets, la saga nordique qui ajoute du russe dans votre vie!

Petit résumé des nouvelles. J'ai terminé comme prévu mes études à la fin mars, ce qui signifie que j'ai simplement arrêté de payer les cours. Je suis ensuite allé en Finlande, où je me suis fait faire un nouveau visa russe, puis j'ai visité en une semaine les capitales des pays baltes avec des amis. Au terme de ce voyage, j'étais salement enrhumé (conséquence de la baignade dans la Baltique? on ne le saura jamais), crevé comme un chien et je fus pris pour la première fois d'une forte envie de retourner chez moi. J'y vois la conséquence logique de la conclusion d'un voyage. Mais, plutôt que de retrouver le foyer familial, je suis retourné a Saint-Pète, le temps d'accomplir quelques démarches administratives, puis j'ai entamé mon voyage en solitaire a travers la Russie. Je dois admettre que j'étais alors dans une assez mauvaise disposition pour l'aventure, mais j'avais trop longtemps rêvé de ce voyage pour abandonner au dernier moment. Les premiers jours ont été un peu grisous. La solitude, ainsi que la nature, grise d'arbres nus et brune de bouette, me minaient le moral. Puis tout s'est arrangé. Je me suis fait a la solitude (et j'ai profité de son grand avantage: liberté totale) et le printemps a finit par fleurir. Étonnamment, j'ai vu mes premiers champs verts et mes premiers bouleaux AVEC FEUILLES en arrivant en Sibérie. Et comme il faisait aussi nettement plus chaud, la Sibérie reste pour moi associée au beau temps, aux parcs remplis de jeunes qui flânent et a la crème glacée. Pas tout a fait l'idée que j'en avais (plutôt goulag par -40 degrés). Mes pérégrinations à travers la Russie ont été riches en péripéties de toutes sortes, mais je ne vous en ferai pas le récit complet ici, car il faut bien que je me laisse quelque chose a raconter en revenant, si je veux être intéressant, le temps d'une soirée. En voici donc seulement deux, qui viennent tout juste de m'advenir.

Rubrique 20: Espionnage a Krasnoïarsk
Krasnoïarsk

Pour financer ma consommation gargantuesque de shawerma et de sandwichs au thon, j'avais résolu de me lancer dans les joies de l'espionnage industriel. Mon objectif, l'immense barrage électrique de Divnogorsk, relativement proche de Krasnoïarsk (relativement dans le sens ou les deux villes se trouvent dans le même carré sur la carte). J'avais initialement prévu de m'y rendre en hydroglisseur, mais les autorités locales firent tout pour m'en empêcher. Tout d'abord, ils cachèrent la billetterie derrière un buisson, derrière la gare fluviale, en dessous de l'escalier.
La gare fluviale

En interrogeant toute la population dans un rayon de cent mètres, je finis par trouver l'endroit, mais la caissière devina a mon regard fuyant, a ma fausse barbe et, de manière générale, a ma gueule de terroriste que j'étais un espion et me jeta au nez que l'hydroglisseur n'entrait en fonction qu'à la fin mai. Passablement déçu, je ne renonçai pas pour autant et, dès le lendemain, je me dirigeai vers la gare routière. De là, je sautai dans un minibus qui, a une vitesse franchement excessive, me conduisit a Divnogorsk, ou je pris le taxi jusqu'au barrage. Note culturelle: prendre le taxi en Russie signifie, plus souvent qu'autrement, arrêter n'importe quelle voiture sur le bord de la route et négocier le prix de la course. En a peine 30 minutes, je me retrouvai le nez enfoncé dans les buissons garnissant les rives du puissant Ienissei (immense fleuve, probablement tracé en bleu sur votre carte), en train de noter dans le plus menu détail le fonctionnement complexe du barrage électrique. Comme au bout de deux minutes, j'étais déjà lassé de photographier le barrage, je me suis mis a courir derrière les oiseaux avec mon appareil, sans grand succès. Il faut dire que j'avais la discrétion d'un hippopotame hystérique et, pour être franc, je me serais moi-même envolé si je m'étais vu arriver (notez le changement de perspective). J'ai quand même réussi a prendre quelques photos pas mal ou, en zoomant dix fois, on peut, en regardant trois pixels colorés avec beaucoup d'imagination, reconnaître un oiseau. Je n'étais sur place que depuis dix minutes, mais j'avais déjà l'impression que j'avais fait le tour du sujet. En effet, de méchantes grilles m'interdisaient pour une raison obscure de grimper sur le barrage ou de faire joujou dans les accumulateurs électriques. Pour rentabiliser les efforts déployés pour se rendre sur place, je décidai tout de même de faire une petite marche dans les alentours. Cette promenade hygiénique me donna l'occasion d'admirer les berges forestières de l'Enissei, son eau limpide, ses plages de gros cailloux rouges pointus et le zèle des gardiens de sécurité. En effet, en aval du barrage, je parvins assez rapidement a un pont, qui n'avait absolument rien de particulier, sinon qu'il était surveillé par un gardien. Probablement de peur que le pont ne fasse une fugue, raisonnais-je. Tout autour, quelques touristes (russes, bien sur) se photographiaient. Comme je n'avais personne à photographier, je résolu de prendre une photo géniale de la pancarte "fleuve Ienissei" avec en arrière plan les montagnes, le tout à partir du pont. Génial, vous dis-je. Alors que je m'exécutais, je fus apostrophé par le gardien du pont. Nous eûmes à peu près cet entretien:
-Eh toi! C'est interdit de photographier du pont!
-Comment ça, interdit? Mais tout le monde photographie, regardez là et là! dis-je en pointant les touristes.
-Tu peux photographier, tu peux même photographier le pont, mais pas À PARTIR du pont.
Devant mon air quelque peu perplexe, il m'expliqua:
-Tu comprends, c'est une mesure de sécurité. Ce pont est un endroit stratégique. On ne sait pas ce que les gens peuvent faire. Des fois il y a des gens qui sont saouls. Peut-être que quelqu'un va vouloir sauter du pont. Tu comprends?
Comme je ne répondais pas, figé par le génie de son raisonnement (lieu stratégique = danger de tomber dans l'eau = interdit de photographier), il ajouta d'un air significatif:
-Et l'eau est froide, tu comprends?
-C'est quand même drôle, dis-je, je n'ai pas le droit de photographier du pont, mais je peux photographier le pont?
-Tu comprends, je dois être juste. Si je ne permets pas a toi, je dois l'interdire à tout le monde. Alors je ne te le permets pas. J'ai raison, non?
Encore une fois un peu stupéfié, je me tus et je fis simplement un pas pour me retrouver a l'extérieur du pont, d'ou je pris ma photo.
LA photo

Quand je vous dis qu'il y a de gros cailloux rouges

Pour conclure, je tiens a préciser que ce dialogue était réellement aussi absurde que je l'ai décrit et ne résulte pas d'une incompréhension au niveau de la langue. J'ai très bien compris que je n'ai rien compris.

Rubrique 21: La parade
Le 9 mai est un jour tout aussi anonyme chez nous que le 27 novembre ou le 12 septembre, mais il s'agit en Russie d'une des fêtes les plus importantes de l'année, Den' Pobedy (Le jour de la victoire). La victoire dont il est question est bien entendu celle qui marqua la fin de la Grande guerre patriotique (ainsi est appelée la Seconde guerre mondiale en Russie), en 1945. Pour comprendre l'importance de cette fête, il faut savoir que le souvenir de cette guerre est plus vif ici que partout ailleurs dans le monde (sauf peut-être en Allemagne, mais d'un autre point de vue). Tout d'abord, la Russie est le pays qui a le plus souffert de la guerre, avec 20 millions de morts (les Américains, par comparaison, en ont perdu à peu près 300 000). Et ce n'est pas qu'un chiffre. Presque tous les Russes comptent dans leur famille des parents morts a la guerre. Ensuite, contrairement a nous et aux Américains, les Russes ont connu l'invasion de leur propre pays, ils ne se sont jamais rendus malgré les nombreuses défaites catastrophiques et ils ont tout sacrifié pour chasser l'envahisseur. Après la guerre, le pouvoir soviétique, à force de propagande, a transformé cette victoire glorieuse en véritable culte national (du moins, c'est mon avis de pacifiste). Et, chaque année, l'arrivée du printemps est saluée dans toutes les villes de Russie par des milliers de banderoles rouges aux fiers slogans, où subsistent très souvent le marteau et la faucille. D'ailleurs, toute la semaine avant la fête, a la télé ne passent que des émissions souvenirs et des films de guerre. Comme à Pâques chez nous avec les 35 inévitables remakes de la vie de Jésus, Ben Hur et les Dix commandements.
Et aujourd'hui, le 9 mai, je suis a Irkoutsk. Je suis bien content d'être dans une grosse ville, car j'aurais été déçu d'assister a des célébrations minables dans un trou perdu. Le matin, avant même de partir pour la fête, je prends quelques précautions. Je laisse mon sac a dos dans la chambre et je choisis plutôt de transporter mes choses dans un vulgaire sac de plastique, qui m'identifie moins comme étranger. Puis, je me compose un visage indifférent et blasé, pour avoir l'air plus russe. Je ne suis pas paranoïaque. J'ai l'habitude, par prudence, de ne pas me faire remarquer, mais on m'a dit et répété que c'était particulièrement important aujourd'hui. Ensuite, suivant religieusement les conseils de la préposé a l'hôtel, je me lève très tôt pour aller occuper une bonne place sur la place Kirov. Il fait 9 degrés et un brouillard épais comme une soupe aux pois écrase la ville. En chemin, je remarque une quantité inhabituelle de militaires (ce qui fait beaucoup, si on considère que, dans la vie de tous les jours, les militaires sont déjà infiniment plus visibles que chez nous). Une fois casé dans un coin avec une bonne vue, je me mets a attendre. Deux heures passent ainsi et, dans ce laps de temps, j'ai le temps de me faire complètement écraser contre la clôture par la foule qui s'accumule derrière moi. Il y a un monde fou et des enfants perchés sur toutes les branches des arbres environnants. Des vétérans bardés de médailles sont assis aux premières loges sur des chaises de patio. Et finalement, ça commence. Le début est très formel. Un général qui se promène debout dans sa jeep salue un a un tous les régiments aux garde-à-vous, qui répondent d'une seule voix "Hourra! Hourra! Hourra!" Puis il prononce un petit discours à faire couler une larme, la fanfare entame l'hymne national et les régiments se retirent en paradant, les bottes noires et les petits gants blancs valsant en harmonie parfaite.

Le tout a duré une demi-heure et j'ai eu le temps de finir deux jeux de piles de mon appareil photo, que j'avais bien sûr omis de recharger. Au moment ou je me demande si j'ai vraiment bien fait d'attendre deux heures au froid, une salve de mitraillette retentit et la seconde partie commence au son d'une musique heavy metal. Un char d'assaut et un camion arrivent en trombe sur la place et vomissent sur le pave une vingtaine de soldats habillés en Rambo. La seconde partie ressemble en fait a un numéro de cirque. Les soldats-rambos font tour a tour des démonstrations d'adresse, de force et d'endurance. Dans l'ordre: simulations de combat, pirouettes par-dessus des palissades en flamme, fracassage de briques enflammées avec le poing, cassage de bouteille sur la tête (!) et j'en passe.
On ne distingue pas très bien, mais l'homme est vraiment DANS le feu

Le groupe compte même son homme fort, qui s'avance bientôt au milieu de la place, retire sa chemise, puis se livre aux pires exercices d'endurance. Alors qu'il est couché sur le dos, on lui casse sur le ventre une pile de briques avec une masse, puis on lui casse des 2x4 sur les bras et les jambes. Notre héros rejoint ensuite les rangs, sans paraître souffrir le moindrement, si ce n'est du filet de sang qui lui coule le long du crâne. Finalement, la troupe se retire avec force tir de mitraillette dans les airs et la cérémonie s'achève ainsi. Aussitôt, des centaines d'enfants se jettent sur la place pour ramasser les cartouches. Quant a moi, je me promène parmi la foule et, par miracle, je réussi a économiser assez de pile pour photographier des petits enfants qui remettent spontanément des fleurs a des petits vieux souriants qui plient sous le poids de leurs médailles.

J'erre encore un peu et, un peu plus loin, j'aboutis près d'une petite chorale ou soldats et enfants chantent des chansons traditionnelles au son de l'accordéon. Ô merveille, ce sont toutes les chansons que j'écoutais quand j'étais encore au Québec! Et les enfants dansent, et les soldats chantent, et les vieux barbus tapent des mains en criant "hop, hop!" et les babas en costume traditionnelle chantent avec la note au-dessus et tout le monde sourit. J'adore la Russie.


L'envoi se fait finalement beaucoup plus tard que sa rédaction. En fait, j`ai eu le temps de refaire toute la Russie en sens inverse et même plus loin, puisque je suis maintenant dans la chambre de Geneviève a Clermont-Ferrand, métropole culturelle du monde libre. Comme j'ai maintenant un ordi a ma disposition, je peux joindre quelques photos. Pour des raisons stratégiques, la photo du barrage n'y figure pas, mais celle prise du pont, si.

Je suis de retour au Québec le 7 juin. J'ai vraiment hâte de revoir tous mes amis.
Portez-vous bien, que je vous retrouve en un seul morceau.

A bientôt,

Guillaume
21 mai 2007

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