lundi 9 février 2009

Guillaume chez les Surfeurs, tome 1


Bonjour à tous!

C’est avec beaucoup d’émotion, de joie et de douleur dans la main gauche (voir plus bas l’affaire du grizzli) que j’entame aujourd’hui la saga tropicale Guillaume chez les Surfeurs, la série qui a les orteils dans l’océan, la tête à l’université et la main sur le porte monnaie.


La Californie! Terre de rêve et d’ambition! Scintillant eldorado aux milles reflets psychédéliques! Séduisante sirène allongée sur le Pacifique qui de son chant langoureux aux accents exotiques attire en ses filets de chanvre les rêveurs, les marginaux et les chômeurs mexicains du monde entier! Qui d’entre nous ne s’est pas un jour imaginé sauter dans une rutilante voiture sportive sortie d’on ne sait où et foncer avec les cheveux et le shaggy au vent à toute vitesse vers la CALIFORNIE pour y refaire sa vie en compagnie de l’être aimé(e) et bronzé(e)? Pas moi, en tout cas. Mentalement, je m’évadais plutôt dans une jolie troïka avec des grelots et je parcourais la steppe en chantant Kalinka-Kalinka-Kalinka-Maia. Chacun a sa propre conception de l’exotisme et la mienne, allez savoir pourquoi, est davantage peuplée de babouchkas ridées que de Californiens souriants, bronzés et outrageusement bien dans leur peau, comme ils le sont tous. Ce qui ne m’a toutefois pas empêché de me réjouir de mon départ, surtout quand le chauffage de notre appartement à Montréal a inopinément rendu l’âme et que notre espace de vie s’est mis à ressembler au château de glace du carnaval de Québec. Le chauffage est revenu, mais je suis parti quand même.


Rubrique 1: le climat

Avant de vivre le choc culturel, il y a d’abord le choc climatique. Le mien fut double : le premier parce qu’il fait étonnamment chaud et le second parce qu’il fait étrangement froid. Je m’explique. Tout d’abord, leur hiver ressemble à notre printemps. Pendant ma première semaine à San Francisco, le mercure batifolait dans les 25 degrés avec le soleil au zénith. On a beau s’y attendre un peu, mais ça fait un choc de voir un indigène se promener en camisole sous les palmiers quand on a encore la lèvre fendue d’une balle de neige reçue quelques jours plus tôt. Par ailleurs, la clémence du climat se combine à l’éternelle humidité de la région pour permettre un étonnant foisonnement de parfums végétaux. J’ai profité du beau temps des premiers jours pour me promener dans les parcs et, mon Dieu, quelle aventure olfactive! Nul besoin de se rouler dans les plates-bandes pour être assailli, au détour d’un sentier, par une puissante odeur de fleurs ou, plus loin, par l’odeur touffue des conifères ou, avec de la chance, par des effluves de marijuana… bref ça sent toutes les bonnes choses qui vivent et qui poussent! Le campus de mon université est remarquable à ce titre. C’est un vaste campus à l’américaine avec de grandes pelouses où l’on peut s’étendre pour étudier les yeux fermés à l’ombre de pins géants. À côté de ça, le parc Émilie-Gamelin fait plutôt pâle figure.

À lire ces lignes, on pourrait s’imaginer que c’est la canicule perpétuelle et que je passe mes journées à peaufiner le bronzage tout autour de mon slip à motif léopard. Malheureusement, mes projets en ce sens sont contrecarrés par la perfidie du climat de San Francisco. En effet, la chaleur du milieu de la journée et la luxuriance de la nature ne doivent pas faire oublier que, comme le soulignent avec insistance les San Franciscains, « ici, ce n’est pas Los Angeles ». En gros, ça veut dire que la température de l’eau est à peu près la même qu’à Gaspé, car le courant arrive directement de l’Alaska, et, surtout, que la température de l’air chute à environ 12 degrés en soirée. Malheur à l’imprudent qui quitte sa demeure à midi en T-shirt sans prévoir de manteau pour le soir! Les indigènes eux-mêmes semblent d’ailleurs s’y laisser prendre, à en juger par le concert de reniflements, d’éternuements et de toux qui résonne dans les salles de cours ces temps-ci.


Dernier commentaire par rapport au climat : les fahrenheit sont une absurdité sans nom. Suis-je censé avoir une espèce d’idée de ce que signifie 60 degrés Fahrenheit quand mon seul point de repère est qu’un poulet cuit en une heure à 350 degrés? Non seulement ce système est stupide, mais il y a de quoi se casser la tête contre un mur à essayer de les convertir en Celsius, à moins d’être capable de diviser mentalement par neuf des nombres à trois chiffres. J’ai la conviction profonde que les fahrenheit, les gallons et les pouces causeront la chute de l’empire américain, comme la bonne chère et les bains chauds ont causé la perte de l’empire romain.


Rubrique 2 : le grizzli

J’ai inauguré mes études américaines dans le sang. Des torrents d’hémoglobine jaillissaient en gros bouillons de ma main gauche alors que je parcourais le campus, à la recherche de mes locaux. À ceux qui me demandaient ce qui m’était arrivé, je répondais invariablement que Mission (le quartier où j’habite) est effectivement un quartier dangereux et que j’y avais eu à défendre mon porte-monnaie contre les visées vindicatives d’un grizzli. Cette anecdote me donna l’occasion de constater que les Américains ne sont pas aussi bêtes qu’on le dit, puisque la plupart devinèrent immédiatement que j’avais en fait eu un accident de vélo. Avant de révéler les sordides détails de cette histoire, j’aimerais ouvrir une parenthèse sur la condition de cycliste à San Francisco.

Il m’a fallu très peu de temps pour faire les trois observations suivantes au sujet de San Francisco :

1- Il fait toujours beau

2- Le transport en commun ne vaut pas de la chnoute (j’y reviendrai une autre fois)

3- Il y a plein de cyclistes partout

J’en suis donc arrivé à la conclusion que je devais me porter acquéreur d’un de ces charmants petits mammifères à deux roues. Je n’ai d’ailleurs même pas eu à me donner cette peine, car mon propriétaire m’a offert l’un des siens pour la durée de mon séjour. Le vélo en question n’est pas du plus récent modèle : le changement de vitesse est souverain au sens politique du terme et la couleur est impossible à identifier, car elle est couverte par la moitié du sable du Nevada (ce qui trahit son usage répété dans le cadre du Burning Man*). En plus, il y a un petit toutou de singe accroché au guidon et les poignées sont en minou noir à poil long. Sans blague. D’ailleurs, je cherche encore un nom pour le petit singe. Je suis ouvert à toutes les suggestions. Celui dont la proposition sera retenue se méritera une surprise.


Au-delà de ces attendrissantes considérations personnelles, qu’en est-il de la condition de cycliste à San Francisco? Pour ma part, je m’attendais au pire. Après tout, le droit de posséder un VUS et d’écraser les cyclistes n’est-il pas inscrit dans la Constitution américaine? Or, en ce domaine comme en beaucoup d’autres comme je le réalisai plus tard, San Francisco n’est pas américaine. Ici, la conduite du vélo est fortement encouragée et elle est largement pratiquée. La ville est dotée d’un grand réseau de pistes cyclables, même si la plupart ne sont que des voies attitrées dans la rue. Mais ce qui est le plus remarquable, c’est qu’en dehors des pistes cyclables on reconnaît aux cyclistes le droit d’occuper la voie, au même titre que les voitures. Nul besoin de zigzaguer entre les voitures qui roulent et celles qui sont stationnées, au risque de s’encastrer à toute vitesse dans une portière ou dans un rétroviseur, il suffit de rouler en plein centre de la voie et de suivre la circulation, à condition qu’il y ait au moins une voie pour dépasser. Ceux qui font du vélo hors des pistes cyclables savent qu’à Montréal un tel comportement se mériterait un concert de klaxon. C’est d’ailleurs probablement ce qui m’attend lorsque je reviendrai avec mes habitudes californiennes.

Le seul élément qui pourrait potentiellement décourager du vélo à San Francisco, et qui paradoxalement fait tout son charme, c’est l’omniprésence des collines.


Sous-rubrique 2.1 : les collines

Langoureusement allongée entre le Pacifique et la baie qui porte son nom, la pulpeuse San Francisco exhibe de nombreuses voluptueuses rondeurs, de même qu’un certains nombre d’attraits aux pointes affolantes. Où que l’on soit en ville, il n’y a que deux possibilités : dans le creux intime d’une vallée ou sur le flanc soyeux d’une colline. Bien sûr, le cycliste prépare minutieusement son trajet de manière à ne circuler que dans l’entrelacs complexe des vallées, mais il finit toujours (surtout s’il décide de prendre un raccourci, s’il se perd ou les deux à la fois) par devoir envisager une séance d’escalade. Dans bien des cas, la colline surgit de manière aussi brutale que soudaine : la rue qui monte fait penser à un mur ou, à la limite, à une pente de ski asphaltée. Surpris par la violence de l’escarpement, le cycliste n’a que le temps de faire dégringoler ses vitesses jusqu’à la première (au grand dam de son dérailleur qui grince comme un vieux tracteur soviétique) et il se lance à la conquête des hauteurs vertigineuses. Quelques minutes et beaucoup de sueur plus tard, la langue pendante jusqu’aux pédales, les cuisses en feu et le cœur en phase post-terminale, le cycliste parvient finalement au sommet. La vue qui s’offre alors à lui est de nature à lui faire oublier ses efforts et leurs dommages probablement irréparables sur sa santé. Si certaines des collines de San Francisco sont coiffées d’un mamelon de verdure, la plupart sont uniformément couvertes d’un tapis urbain, ce qui donne la fascinante impression que la ville ondoie en de grandes vagues figées. Le jour, le spectacle est magnifique. À perte de vue, d’innombrables petites maisons aux couleurs chaudes escaladent une colline en rangs serrés, la ceinturent en spirale, redescendent et se lancent à l’assaut de la colline suivante. La nuit, le spectacle est magique. Le dense fourmillement des lumières contraste avec la rareté des étoiles et forme une ligne d’horizon courbe qui laisse deviner le relief de la ville.




Retour à la rubrique 2 : grizzli

Une fois rassasié de ce spectacle, le cycliste doit généralement envisager de redescendre la colline. Or, les lois de la gravité étant ce qu’elles sont jusqu’à nouvel ordre, il s’avère que la descente est beaucoup plus éprouvante que l’ascension. À moins de prendre peur au dernier moment, de décider de demeurer au sommet, d’y fonder une commune hippie et d’y consacrer le reste de sa vie à appliquer les idées de Proudhon dans la chaleureuse proximité des chèvres, le cycliste n’a pas d’autre choix que de se jeter dans le vide. La sensation qui s’apparente le plus à celle du cycliste dévalant une colline à San Francisco, à mon avis, est celle du skieur débutant, dont les genoux tremblotent sur ses skis de location, qui se retrouve par erreur sur une piste double losange noir. Tout d’abord, il y a la certitude de mourir. Ensuite, il y a l’impression de faire du parachute sans parachute. Puis, il y a le réflexe de saluer Marie pleine de grâce qui est bénie entre toutes les femmes et de regretter de ne pas savoir la suite. Finalement, et surtout, il y a cet étrange réflexe du recul sur ses skis, pour conserver son point d’équilibre du bon côté de la pente. Et bien tout cela est exactement pareil en vélo, si ce n’est que le cycliste ne recule non pas dans ses bottes de ski, mais sur sa selle (bien vite, il n’est plus assis dessus, mais derrière), car il a la très nette impression qu’il suffirait d’une petite bosse sur la chaussée, ou même de rouler sur un Q-tip égaré, pour que la roue arrière décide de voir si elle ne pourrait pas aller jouer les éclaireurs en avant. La seule différence avec le ski, c’est que la descente alpine n’est habituellement pas interrompue par un arrêt (stop) au milieu de la pente, ce qui exige de bons freins et/ou de bonnes semelles.


J’allais oublier de parler de mon accident. C’était, comme je l’ai dit, au premier jour du semestre. J’étais tout propre, tout bien peigné (sous mon casque) pour faire bonne impression auprès des professeurs et je me rendais gaillardement à l’université à vélo quand, alors que je descendais la dernière côte face à l’université, une voiture qui attendait à une lumière rouge décida inopinément de se départir d’un de ses passagers. La portière s’ouvrit donc sur ma gauche, ce à quoi je ne m’attendais pas du tout. Grâce à mes réflexes de ninjas, je réussis bien sûr à esquiver la portière, mais mon guidon ne parvint pas à en faire autant. Je perdis donc quelque peu l’équilibre, juste assez pour aller caresser la chaussée avec ma main gauche, mon genou droit et mon coude droit (à essayer dans votre prochain party de Twister). Pour laver mon humiliation et pour éviter que les gens autour se mettent à crier, pleurer et téléphoner à ma mère, je me suis immédiatement relevé et, avec toute la délicatesse qui me caractérise, j’ai enjoint la responsable de l’accident (qui semblait plus traumatisée que moi) de faire attention la prochaine fois, merde. À la suite de quoi je suis remonté sur mon vélo et je me suis rendu à l’infirmerie de l’université. Détail ironique de l’histoire, je ne m’y rendis pas en raison de mon accident, mais bien parce que j’avais justement affaire ce matin là à l’infirmerie pour des histoires d’assurances. Évidemment, je rêvais aussi secrètement qu’une jolie infirmière s’apitoie sur mon sort alors que moi, comme un vrai dur, je lui dirais que ça fait même pas mal. Ce n’est pas exactement ce qui s’est passé. Je n’ai eu droit qu’à la réaction horrifiée de la madame des assurances qui ne voulait pas me remplir le formulaire machin-truc sous prétexte que je dégoulinais de sang sur son comptoir et qui insistait pour j’aille me « get fixed » (ce qui est une expression savoureuse, convenons-en). J’ai donc dû me couvrir la main d’une collection de diachylons pour pouvoir mener à bien les procédures administratives. À la suite de quoi je suis allé à mes cours, mine de rien. Comme un vrai dur.


Rubrique 3 : Obama

Plusieurs d’entre vous m’ont demandé comment se vit la frénésie autour d’Obama (il y a un terme pour ça : l’Obamania) à San Francisco. Eh bien, je dois dire que comme je ressemble personnellement beaucoup à Obama, je suis la cible de nombreux PDA (public display of affection) : les gens me félicitent, m’embrassent, me demandent des autographes. Enfin, j’ai l’habitude : à Montréal, on me prend souvent pour Nelson Mandela. Au-delà de cette flatteuse confusion, j’ai observé que les gens à San Francisco sont vraiment très contents. La ville, comme je le mentionnais précédemment, est probablement la moins américaine des États-Unis, la plus « liberal » ( au sens américain du terme, ce qui signifie grosso-modo « social-démocrate au plan socio-économique et libéral au plan moral »). Nombreux sont les gens ici qui critiquent vertement la politique américaine en général, le rôle des États-Unis dans le monde, la culture de masse américaine, etc. Pour tout dire, certains ne se considèrent même pas Américains, mais Californiens. Avec Obama, ça commence à changer. Les gens sont vraiment fiers de son élection. Évidemment, la société américaine est, comme la nôtre, une société individualiste où la politique ne joue pas un grand rôle dans la vie des gens, mais il y a des signes d’allégresse qui ne trompent pas. En voici quelques uns :

- Le jour de l’investiture d’Obama, les responsables de la formation des étudiants internationaux ont décidé de nous présenter ce moment historique en direct à la place d’un film poche sur l’université, car, disaient-ils, ils étaient très excités, très fiers et ils voulaient partager ce moment avec nous.

- J’ai voulu acheter l’édition du dimanche du San Francisco Chronicle, car on y trouve une espèce d’agenda culturel de tout ce qui se passe côté artistique en ville pendant la semaine. C’était deux jours avant l’investiture. Dès 10h00, il n’en restait plus une seule copie nulle part. La propriétaire d’un dépanneur m’expliqua que les gens en achetaient par paquet de cinq, dans le but de les revendre sur Ebay plus tard, comme pièce de collection. Voilà l’inconvénient de vivre en ces temps historiques.

- Partout en ville, il y a eu des partys dans des bars pour fêter l’arrivée d’Obama, de même que des partys pour fêter le départ de Bush.

- Dans les magasins, Obama rivalise actuellement avec la Saint-Valentin pour la quantité de produits dérivés : la tasse Obama, le crayon Obama, la poupée Obama, le calendrier Obama, le chandail Obama, le porte-clé Obama, etc.

- Dans le charabia que racontent les innombrables sans-abris au coin des rues, on distingue de temps en temps le mot « Obama ». L’espoir est pour tout le monde.

- Quelques affiches révélatrices :

Je crois bien que c’est cela qui va être cela pour le premier épisode de Guillaume chez les Surfeurs. Pour la suite, j’ai déjà quelques sujets en tête : l’argot San Franciscain, le coût de la vie, les sans-abris, le transport en commun. D’ailleurs, si vous avez des questions, des interrogations, des questionnements ou d’autres problèmes psychologiques graves, je suis disposé à vous libérer de ce poids en prenant en note vos suggestions. Sentez-vous bien libre de me faire part de vos commentaires et de me donner des nouvelles de vous, de chez nous ou d’ailleurs. Je ne suis pas un très bon correspondant et je ne réponds pas souvent aux messages qu’on m’envoie (cette d’ailleurs pour ça que je tiens cette chronique), mais ça me fait toujours plaisir d’en recevoir. Je remercie d’ailleurs ceux qui m’ont déjà envoyé de leurs nouvelles ou m’ont simplement dit bonjour (parfois avec une surprenante tendresse).


Portez-vous bien, chenapans! Amusez-vous dans la neige et faites attention quand vous vous lancez des balles de neige : la glace, ça fait mal.


Si vous vous intéressez à San Francisco, allez voir le film Milk, s’il est encore au cinéma. Sinon, attendez quelques semaines et louez-le.


À peluche,


Guillaume


*Le Burning Man, si j’ai bien compris, est une sorte de festival artistique underground dans le désert où les gens font du camping et se promènent en vélo. J’enquête et je vous reviens là-dessus


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