dimanche 7 novembre 2010

Guillaume chez les Soviets, tome 8

C'est un gros obus, ça, madame.

Quelques malheureux flocons sales et mouillés s'écrasent paresseusement sur le gazon crispé par le froid. Ému par ce spectacle, je réalise qu'il y a déjà un bon moment que je revenu au Québec avec l'automne dans mes bagages. Il est plus que temps que je présente sur ce blogue mes dernières rubriques concoctées en Russie, avant que les photos ne jaunissent dans mon disque dur. Voici donc le huitième tome de Guillaume chez les soviets, la "saga nordique qui borsche votre quotidien"™.

Rubrique 25: la démocratie en Russie
Certes, voilà un sujet bien peu original. La démocratie russe fait régulièrement la une de la page "Monde" de votre journal préféré, grâce auquel vous aurez déjà appris que Poutine est un méchant et que Medvedev est une marionnette. Je n'ai pas la prétention de corriger le contenu d'une si fine analyse, mais je souhaiterais enrichir la compréhension du phénomène à l'aide d'une analogie à la fois riche en enseignement et en poésie. Je précise que cette analogie est inspirée d'une histoire vécue sur le terrain, avec de vrais Russes consentants. Que du vrai, de l'expérience brute.
Alors que je déambule en septembre dernier sur la perspective Nevsky, à Saint-Pétersbourg, mon regard est attiré par un panneau publicitaire plutôt énigmatique. On y fait la promotion d'un certain "Musée de l'instauration de la démocratie", dont je n'ai jamais entendu parler. Vous me connaissez, je suis plus imperméable à la publicité qu'un sourd-muet-aveugle, myope de surcroît, mais là je me suis dit que ça avait un peu trop de lien avec mon sujet de mémoire pour que je puisse passer outre sans souffrir par la suite d'élancements douloureux dans la région de la conscience. Je décide donc d'aller faire un petit tour. Premier étonnement: le musée est situé dans un bâtiment qui appartient à l'administration présidentielle. Décidément, une odeur d'objectivité scientifique plane déjà dans l'air. Deuxième étonnement: une fois entré, pas de trace de musée. Il n'y a qu'un grand escalier au sommet duquel trône un gardien de sécurité, protégé de l'agressivité du monde par un gros bureau. Alors que j'entreprends de gravir l'obstacle, le zélé fonctionnaire me hèle et m'informe sans tendresse aucune que 1) il est interdit de monter dans l'escalier, 2) le musée est fermé, et 3) le musée n'ouvre que les jours de semaine, entre 11h00 et 15h00. Piteux, j'enlève mes sales pattes des marches et me retire avec tact en méditant la ressemblance entre les heures d'ouverture du musée et celle de ma banque préférée.
Je retourne au musée une semaine plus tard. Comme c'est un mardi et qu'il est 13h00, je me félicite, en toute humilité, d'avoir enfin rassemblé les conditions gagnantes. Toutefois, lorsque j'aboutis au terme d'une vertigineuse ascension au bureau du digne gardien, je réalise que de musée il n'y a toujours aucune trace en vue. Je ne vois rien que la poussière qui poudroie et le gardien qui verdoie, comme dirait ma soeur Anne. Quand finalement je m'enquiers de cette absence auprès du brave homme qui balaie l'escalier de son regard de faucon, celui-ci compose un numéro sur le téléphone qui occupe un coin stratégique de son bureau et, alors que la sonnerie commence déjà à retentir à l'autre bout du fil, il me dépose le combiné dans les mains. Quelque peu désemparé, j'approche timidement l'instrument de mon oreille, que vient bientôt caresser une une voix mélodieuse :
-Ouais?
-Euh, bonjour, j'aimerais visiter le musée.
-C'est fermé.
-Comment, aujourd'hui ce n'est pas ouvert? On m'a dit que...
-Non, c'est fermé aujourd'hui.
-Ah bon, merci.
Je raccroche et annonce la nouvelle au gardien du téléphone.
-Oui, dit-il, ce n'est ouvert que les jours de semaine, de 11h00 à 15h00.
-Je sais, mais on est mardi et il est 13h00.
-Ah. (Pause) Ben revenez une autre fois.
C'est sur cette note mystérieuse que s'achève mon récit.

Conclusion de la parabole:
Je n'ai jamais vu le musée de la démocratie. Mais je crois fermement avoir davantage appris en tentant d'y entrer. En effet, cette expérience m'a inspiré l'analogie suivante, que vous me feriez grand plaisir en la méditant un instant:
La démocratie existe bel et bien en Russie. Cependant, est elle est ouverte uniquement les jours de semaine , de 11h00 à 15h00, et quand on veut vraiment la voir, elle est fermée ce jour-là. J'ajouterais que seuls les étrangers cherchent à la trouver, car les Russes sont convaincus qu'il n'y a rien à voir.


Le jour du savoir
Rubrique 26: le jour du savoir
Le 1er septembre, jour de la rentrée scolaire, est un événement très important en Russie. Ce n'est pas seulement le jour d'école qui s'adonne à être le premier, c'est le (roulement de tambours) Jour du savoir. L'événement se mérite à chaque année un message télévisé du président, des milliers de panneaux promotionnels répandus à travers la ville pour mettre les gens dans l'ambiance (voir photos) et, surtout, des célébrations dans chaque institution scolaire. Pour capturer l'atmosphère exceptionnelle de cette journée, je me suis adroitement introduit dans la fête organisée par une école primaire. Les photos suivantes donnent une certaine idée de l'événement.

Arrivée du matériel

La fête a lieu dans la cour intérieure de l'école

La fanfare


Le discours de l'apparatchik local
Les fleurs, c'est pour les profs.

Le photographe officiel

Encore une pub pour le jour du savoir.
Troublant.

Rubrique 27: je bois
Tentative d'investigation socio-culturelle.
L'étranger sera quelque peu surpris de se faire demander par des Russes s'il boit ou non. Il est intéressant de se pencher sur la signification de cette question, car elle repose sur des références implicites qui nous révèlent certains aspects de la vie en Russie. Tout d'abord, il faut préciser, au cas où ce n'était pas clair, qu'il est implicitement question d'alcool. Notez déjà que l'évidence présumée de cette référence donne une bonne indication de l'importance de ce sujet dans la vie quotidienne russe. Mais surtout, l'étranger se surprend lui-même à hésiter à répondre catégoriquement par la positive. Certes, il consomme de l'alcool, mais il sent vaguement que l'affirmation "Oui, je bois" implique davantage que cela: passerait-il pour un alcoolique? À l'inverse, répondre par la négative serait faux, car cela impliquerait l'abstinence. Quelle est la source de notre embarras face à cette question et que signifie-t-elle pour les Russes?
À mon avis, la signification de cette question s'éclaire lorsqu'on la compare à une question similaire dans notre propre culture : "Est-ce que tu fumes?". Bien que la consommation de cigarettes et autres bouts de cigare varie énormément d'une personne à l'autre, on remarquera qu'il est de rigueur chez nous de diviser les gens en deux catégories clairement définies: les fumeurs et les non-fumeurs. Cette division s'explique selon moi par le fait que la cigarette est liée à un stigmate social: elle fait l'objet d'une réprobation quasi-universelle, que ne contestent d'ailleurs pas ceux qui la consomment. Par conséquent, la division "fume/fume pas" indique que l'enjeu ne réside pas dans la quantité grillée, mais dans l'acte même de consommer le produit honni. D'un côté, ceux qui en prennent et, de l'autre, ceux qui n'en prennent pas. L'alcool, pour des raisons historiques, ne porte pas chez nous le même stigmate. Par conséquent, l'acte de consommer n'est pas en soi répréhensible et c'est selon le critère de la quantité que l'on classifie les buveurs: ne bois pas, boit un peu, boit souvent et alcoolo. La division "boit/boit pas" ne trouve pas de référence dans notre culture et, pour cette raison, nous paraît étrange. En Russie, l'acoolisme est l'un des problèmes sociaux les plus importants et assurément le plus profondément inscrit dans les esprits. De la même façon que l'acte de fumer chez nous, c'est l'acte même de boire qui y est connoté négativement, car il reste étroitement lié à une potentielle déchéance dans l'alcoolisme. Pour les Russes, il y a donc ceux qui boivent et ceux qui ne boivent pas. Ainsi, il n'est pas rare de voir apparaître dans les films soviétiques des héros qui se revendiquent fièrement de leur sobriété. Nombreux sont les cosmonautes, militaires, athlètes, komsomols (jeunesse communiste) et autres modèles qui affirment fièrement à la caméra: "Je ne bois pas".

Non!
À défaut de pouvoir s'appuyer sur des statistiques, il est difficile de mesurer si cette propagande a vraiment un écho dans la population et si l'on trouve plus de gens qui ne boivent pas en Russie que chez nous, mais il est certain que cette catégorie est socialement plus importante, au sens où elle signifie davantage. À preuve, une personne qui chez nous s'abstient de boire doit souvent longuement justifier son geste, qui paraît incompréhensible à la majorité, si ce n'est pour des raisons médicales. En Russie, cette abstention ne nécessite aucune justification: tous savent quel est le mal qu'elle cherche à éviter.
Pour finir, voici une anecdote qui illustre la manière par laquelle les Russes eux-mêmes peuvent rire de ce stigmate social sur l'alcool. J'ai un jour vu dans le métro une publicité où l'on voyait une femme déclarant tout sourire: "Mon mari boit et je suis contente!". C'était une publicité de filtres à eau. Je vous laisse apprécier l'humour riche en sous-entendus.


Petit jeu d'observation
Un élément cloche sur ce panneau qui indique le nom d'un canal au centre-ville,
saurez-vous le trouver?

Sur ces considérations ludiques se conclut le huitième tome de Guillaume chez les Soviets, "le caviar des sagas nordiques"™. Allez en paix.

Poka!

2 commentaires:

  1. Merci Guillaume pour cette rubrique fort enrichissante.

    Face au grave problème social touchant à la présence des musées dans la société, je n'ai qu'une seule solution sensée: l'abstinence.
    Il est fréquent de voir les "addicts" aux musées réagir de façon négative et parfois même violente lorsqu'ils sont en état de manque causé par un musée fermé.

    Je suis d'ailleurs très fier de l'affirmer: je ne visite pas les musées.

    Il m'est très difficile de te le dire cher ami, mais je crois que tu as un problème et que tu devrais peut-être envisager de rejoindre les visiteurs-de-musées-anonymes.


    P.S. Question pour 5 points: Il y a un problème dans la phase suivante:
    "Je me suis adroitement introduit dans la fête organisée par une école primaire située."
    Quel est-il?

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  2. Merci, Benoit, j'ai fait la correction dans la phrase à 5 points.

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